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Mercredi 24 janvier 2024. C’est ce jour que les agriculteurs du Nord et du Pas-de-Calais, en particulier la frange syndiquée à la FDSEA, ont rejoint la mobilisation européenne et nationale. Une mobilisation sans précédent dans laquelle s’inscrivent même, en partie, d’autres syndicats agricoles comme la Confédération paysanne et la Coordination rurale.
Un « ras-le-bol qui couve depuis longtemps », dit Frédéric Couloumies, agriculteur à Zegerscappel et secrétaire général adjoint de la section agricole de Dunkerque pour la FDSEA. « On avait commencé à s’exprimer avec les panneaux retournés mais ça a fait sourire. On aurait tous mieux à faire qu’être là mais il faut en finir avec les couches supplémentaires », déplore celui qui dit passer « une journée et demie au bureau » quand sa vie c’est « (s)es bêtes et (s)on tracteur ».
Dans le Nord, c’est sur l’A25, au niveau de Bergues, qu’ont choisi de converger les convois d’agriculteurs des Flandres et du Dunkerquois. 10 h 45, les « copains » de Méteren viennent de se mettre en route. Au faubourg de Cassel, à proximité de l’entrée d’autoroute sur le ban de Quaëdypre, une centaine de tracteurs sont garés, dont plusieurs équipés de remorques. Pleines. Les agriculteurs se sont rassemblés en attendant le top départ, sous les yeux de quelques riverains.
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Devant la baraque à frites de Karine, ils sont plusieurs à tendre le cou vers l’attroupement, et soutiennent d’un seul homme le mouvement. « Même si je dois perdre ma journée, je suis avec eux, c’est bien triste qu’ils n’arrivent pas à vivre de leur travail », pense la patronne. Jordy, 29 ans, est lui ancien ouvrier viticole et travaille aujourd’hui « dans le lin ».
Ce qu’il retient, c’est « la différence de traitement entre des interdictions d’utilisations de produits et l’importation massive de denrées traitées avec ces mêmes produits ». Même la factrice à vélo, qui en profite pour distribuer leur courrier aux intéressés, soutient la mobilisation. « Il faut dire que je suis fille d’agricultrice et que je connais les conditions de vie. »
Ce soutien populaire, ils seront nombreux à dire le ressentir, plus tard, sur l’autoroute en contrebas. Tout comme « la couverture médiatique sans précédent » et le soutien des politiques… Locaux. Parce que quand on se rapproche des ministères et de « tous ces pleupleus de technocrates dans leur bureau à Paris qui ne savent pas ce qu’est une vache ou un cochon mais qui nous disent quoi faire… », formule Jérôme Vanlichtervelde, agriculteur à Millam. Lui est venu avec Thibaut, son fils de 9 ans, qui revêt une combinaison aux couleurs de son constructeur préféré et arbore un drapeau des Jeunes agriculteurs. Le très très jeune agriculteur voudrait-il en faire son métier ? « Oui, s’il est encore possible d’en vivre », dit son paternel.
11 h 15, Frédéric Couloumies grimpe dans la pelle d’un tracteur et lance le top départ, rappelant qu’une minute de silence sera respectée au moment des prises de parole en mémoire aux deux personnes décédées sur un barrage la veille et appelant au respect de la sécurité de tous, en laissant la bande d’arrêt d’urgence dégagée. Et c’est parti pour un convoi d’une centaine de tracteurs qui se dirigent sur l’A25 en contrebas. « Ceux d’Hazebrouck » ne devraient plus tarder. En tête de ligne, le tracteur de notre père de famille, floqué du message : « Pas d’avenir sans agriculteur, pas d’agriculteurs sans avenir. »
Bastien, 16 ans, accompagne son père agriculteur à Cassel. Il passe son bac agricole cette année, et aimerait reprendre l’exploitation. « C’est maintenant qu’il doit défendre son métier, pas quand il sera trop tard », juge son père qui explique être allé le chercher à 10 h à l’Institut d’Hazebrouck où il suit ses études, « après son devoir de maths ». Faut pas pousser.
Parmi les têtes connues, Jacques Wyckaert, le chef d’orchestre de la foire agricole d’Hazebrouck, aux côtés de Christian Decherf, le président de l’union agricole d’Hazebrouck. Le premier rappelle que l’évolution de taxation sur le gasoil, « c’est 40 % de charges en plus », le second martèle la revendication tête de liste : « On ne veut pas des 4 % de jachère, ça doit être aboli immédiatement », prévient-il.
Marc Deswarte, producteur d’asperges de 74 ans, est là parce qu’il s’inquiète pour son fils qui reprend l’exploitation, et qu’il en appelle à « un peu de bienveillance » de la part des décideurs et des contrôleurs. Et quand on interroge le groupe d’anciens sur l’image de la profession – l’une des revendications -, c’est Xavier Dannoodt, éleveur à Killem, qui demande : « Qu’ils (les politiques, ndlr) fassent semblant de nous aimer, déjà ». Parmi les revendications récurrentes, le souhait de voir la loi Egalim 2 appliquée, qui promet notamment une plus juste rémunération des agriculteurs. « Ça fait 30 ans que la loi Evin existe, qui interdit de vendre à perte », rappelle l’un ou l’autre.
Aux revendications nationales s’additionnent les enjeux plus locaux. Pour le Dunkerquois, « mais bien au-delà » estiment les intéressés, c’est le développement du Grand port, et les centaines d’hectares de compensation écologique (1 000 hectares officiellement annoncés lors du point annuel du port de Dunkerque) que d’aucuns pensent voir doubler au minimum. « Or ces compensations écologiques se font sur les bonnes terres, cultivables, dans un rayon de 25 km, sans compter les milliers de nouveaux habitants que devraient drainer les milliers d’emplois annoncés : encore une menace sur le foncier agricole. »
13 h. Alors que la réunion parisienne entre Gabriel Attal (le premier Ministre), Marc Fesneau (ministre de l’Agriculture) et Arnaud Rousseau (président de la FNSEA) n’a pas encore commencé, plusieurs bennes ont été vidées de leur contenu – gravats, paille, pneus – sur l’autoroute, un mur de paille a été dressé sous le pont autoroutier pour offrir une protection contre le vent, encore tenace.
Une grande table accueille le pique-nique et une cabine de toilettes de chantier est même installée. « On est parés pour rester », prévient l’un des agriculteurs. Sur le terre-plein herbeux, des palettes et des pneus sont regroupés en un feu de camp. La nuit pourrait être longue.
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Justine Demade Pellorce