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Des yeux bleus perçant, une voix rieuse et le verbe bien trempé. Économiste, géographe, professeure à la Sorbonne, ancienne présidente d’Action contre la faim, chevalière de la Légion d’honneur, chroniqueuse régulière sur Arte… Sylvie Brunel a bien des casquettes, mais son parti pris est simple : défendre l’agriculture française.
« Je me suis spécialisée dans les crises alimentaires. Je suis allée dans des pays où les gens crèvent de faim. Puis je suis rentrée en France où on n’arrête pas de taper sur ceux qui nous nourrissent… Ça n’a pas de sens ! », s’exclame la géographe avec son francparler désarmant.
Dans son dernier livre, Toutes ces idées qui nous gâchent la vie (voir plus bas), l’autrice tord le cou aux idées en vigueur sur l’environnement, « basées sur des indicateurs biaisés ». Au premier rang d’entre elles, sur l’usage qu’il est fait des pesticides à travers le monde. Un avis que 17 ans d’humanitaire au sein de Médecins sans frontières puis Action contre la faim a bien évidemment contribué à façonner.
« Au Bénin, où les cultivateurs sont envahis de ravageurs et où les rendements sont très bas, la population réclame des pesticides. En France, on pense que c’est le pire mal de l’humanité, mais si on ne traitait pas un quart des récoltes mondiales contaminées à l’aflatoxine, le plus puissant cancérogène naturel… Quand vous achetez des arachides sur les marchés en Afrique, elles en sont farcies. On a désarmé sur la question de la protection des plantes car on a oublié la peur de manquer. »
Ces considérations lui donnent envie de redonner du sens aux pratiques de nos agriculteurs. « Il y a aujourd’hui une crise morale dans les campagnes françaises. Les gens ne savent plus où ils en sont : rémunérations aléatoires, critiques qui pleuvent, consommateurs qui idéalisent le passé… Les jardins partagés c’est bien, mais souvent les gens abandonnent en cours de route. Faire pousser des plantes, c’est un vrai métier ! »
Si elle se départit rarement de son humour, Sylvie Brunel se rembrunit en revanche lorsqu’elle évoque l’avenir du secteur agricole. « Je suis inquiète, confie-t-elle. Entre le bon score des écologistes aux Européennes et En marche et ses positions antiglyphosate, j’ai peur qu’on impose de plus en plus de contraintes aux agriculteurs au détriment du revenu : plans Écophyto, bio dans les cantines… Même si aujourd’hui on gagne un peu mieux sa vie en bio, la guerre des prix est désormais déclarée par les grandes enseignes. Je crains aussi qu’on devienne de plus en plus dépendants de nos importations. Notre solde d’exportations jusqu’ici très positif est en train de baisser, alors que celui des importations augmente au nom de la bio équivalence, qui veut que le bio de Haïti vaille celui de France, ce qui est faux.
Un grand nombre d’importations étiquetées bio sont plus que louches… J’ai peur que les gens soient trompés ou s’empoisonnent : datura dans le sarasin, mycotoxines dans les céréales… Enfin, que vont devenir nos exploitations ? Le bio c’est un tiers de rendement en moins. En Nord-Pas de Calais, terre de grandes cultures, cela va avoir un impact direct. Un certain nombre de marchés–Afrique du Nord, Proche et Moyen Orient – importent massivement des céréales. Ils ne veulent pas du bio, mais du conventionnel avec des normes sanitaires strictes. Si nous nous ruons vers le bio et perdons ces marchés, il n’est pas sûr qu’on puisse écouler notre production ailleurs.
J’ai peur qu’on soit déjà dans une impasse économique quand on s’en rendra compte. Sans compter le risque migratoire en cas de pénurie alimentaire. Ce n’est pas tenir un discours d’extrême droite que de le dire ! Pour contrer l’érosion du nombre d’agriculteurs, il faut qu’ils reprennent la parole, qu’ils expliquent leur métier. Quand ils parlent, on les écoute. Leurs pratiques sont raisonnables. Déverser du fumier devant les préfectures ne suffira pas à les réconcilier avec les urbains ».
Lucie De Gusseme
C’est peu de dire que le dernier ouvrage de la géographe Sylvie Brunel est un pavé dans la mare de la pensée dominante. « Et si ceux qui nous culpabilisent en prétendant nous imposer maints sacrifices se trompaient du tout au tout ? Si leurs diktats et les sacrifices qu’ils justifient reposaient sur des indicateurs biaisés ? », clame-t-elle en quatrième de couverture. Organisé en trois parties, le livre reprend les idées reçues les plus communes proférées au nom de l’écologie et rappelle les faits en contournant les présupposés idéologiques, comme le fait que la démographie nous conduirait non à l’explosion du nombre des hommes mais à leur disparition progressive, que si nous avons oublié la famine, nos décisions actuelles pourraient bien nous conduire à de difficiles lendemains, ou encore que cesser de manger de la viande pour sauver la planète serait en fait contre-productif…
Éditions JC Lattès, 18,90 €.