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Indépendance, protection, identité, revenus, changement climatique, organisation, compétitivité, transitions, autonomie, clauses miroirs… Tels sont les principaux thèmes que le colloque sur la souveraineté alimentaire a permis d’aborder le 18 mai 2021 autour de deux tables rondes et deux échanges, dont le dernier avec le président de la République Emmanuel Macron.
Introduit par Pascal Cormery, président de la Caisse centrale de la MSA (CCMSA) et Jean-Luc Poulain du Ceneca (organisateur du Salon international de l’Agriculture), le colloque s’est poursuivi avec la prise de parole du ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie.
Réaffirmant clairement qu’il n’y a « pas d’agriculture sans agriculteurs » et qu’il n’y a « pas de pays fort sans agriculture forte », il a fait part de ses convictions sur la souveraineté alimentaire. « Il faut sortir de notre dépendance aux importations », a-t-il plaidé, s’inquiétant de voir la France dégringoler à la 6e place des pays exportateurs en agroalimentaire, « derrière l’Allemagne et les Pays-Bas », alors qu’elle était encore sur le podium (3e) en 2005.
Pour lui, il faut également sortir de la dépendance au changement climatique et aux marchés qui « ne respectent pas nos standards de production » et qui ne valorisent pas la qualité, cette dernière restant « la marque de fabrique de l’agriculture française », a-t-il assuré. Fustigeant « une guerre de prix mortifère », il a également appelé à revenir « à la science et à la raison » sur le dossier de la protection des plantes et de l’innovation.
Au cours de la première table-ronde au titre évocateur « Souveraineté alimentaire : avons-nous encore le choix ? », le commissaire européen Thierry Breton a rappelé le défi de la double transition que l’agriculture et le secteur agroalimentaire devront mener dans les prochains mois : celle de la transition verte et numérique.
« La commission européenne ne ménagera pas ses efforts et le chemin ne sera pas aisé. Cependant, nous avons toutes les cartes en main pour réussir ensemble », a-t-il attesté. Ce qui inclut le consommateur « qui est le véritable souverain aujourd’hui », a précisé Sébastien Abis, directeur du Club Déméter. « Mais il ne doit pas oublier toute la chaîne de sécurité et de valeur » de ce qu’il a dans son assiette, a-t-il ajouté. L’une des pierres d’achoppement de cette souveraineté qui semble échapper à la ferme France vient que « nous exportons des produits bruts et que nous importons des produits transformés », a expliqué Dominique Chargé, président de La Coopération agricole.
Et de prendre l’exemple des pommes de terre des Hauts de France qui traversent la frontière pour être transformées et revenir sous forme des sachets chips sur le territoire national, « laissant ainsi échapper toute un pan de valeur ajoutée ». Interrogé sur sa vision stratégique de la souveraineté alimentaire française, le Haut-Commissaire au Plan, François Bayrou, a plaidé pour un « Plan Marshall de reconquête » à l’image des États-Unis qui, en plus de 3 500 milliards de dollars dégagés après la crise du Covid viennent d’en ajouter 2 200 milliards de plus.
Au cours de la seconde table ronde (« Comment réussir le défi de la souveraineté alimentaire ? » ) les débats se sont plutôt concentrés sur les défis écologiques, le renouvellement des générations et l’international. La présidente de la région Île-de-France, Valérie Pécresse, a rappelé que la reconquête de l’agriculture périurbaine francilienne passait également par une meilleure maîtrise du foncier et par la reconquête des friches industrielles : « Sous l’ère de mon prédécesseur (Jean-Paul Huchon, ndlr), 1300 ha/an étaient détruits. Nous avons réduit cette artificialisation à 500 ha. Notre objectif est zéro artificialisation nette en 2050 mais aussi de porter à 15 % notre alimentation locale aujourd’hui à 3 % », a-t-elle affirmé.
Le président JA, Samuel Vandaele, a abondé dans ce sens, expliquant que la souveraineté passe par la « protection du foncier et du revenu », par « la préservation des ressources, notamment celles en eau » et enfin par la transmission, non seulement d’une exploitation mais aussi « des savoir-faire ». Pour le député européen (LREM), Pascal Canfin, la souveraineté passe par l’adoption des clauses-miroirs qui sont un premier pas pour inciter certains pays à s’aligner sur la législation européenne en termes de normes, notamment celles sur la protection de l’environnement (biodiversité, produits phytosanitaires…).
Elle passe aussi par la résistance aux traités internationaux (CETA, Mercosur…) qui devront désormais être compatibles avec les objectifs du Green Deal et du « Farm to Fork ». C’est d’ailleurs sur cette base que se construit « un nouveau contrat social entre les agriculteurs et la société », même si aujourd’hui « il manque des contrats de transition agricole », a-t-il estimé.
Dans la séquence « Regards croisés » entre Christiane Lambert, présidente de la FNSEA et Dominique Seux, directeur délégué de la rédaction du quotidien Les Échos, ce dernier a tenté d’établir un parallèle entre la désindustrialisation qu’avait connue le pays au début du millénaire, avec ce que vivait actuellement l’agriculture. « La seule différence qui existe, c’est que contrairement aux industries, nos exploitations ne sont pas délocalisables », s’est empressée de rectifier Christiane Lambert, qui impute une partie de la situation actuelle de l’agriculture aux politiques. « Ils ont une responsabilité quand ils opposent agriculture et environnement », a-t-elle souligné.
Heureuse de voir qu’un député écologiste, François de Rugy, appelle à « réconcilier l’écologie et la science », elle reste tout de même agacée par les « écolos vert foncé qui forcent le trait (…) » sur le travail des agriculteurs et influencent négativement l’opinion. « Or les Français aiment leurs agricultrices et leurs agriculteurs », a-t-elle affirmé, reprenant les chiffres du dernier sondage #Agridemain et Crédit agricole. Pour la présidente de la FNSEA, l’éducation du consommateur est aussi l’une des clés de la souveraineté. C’est en partie pourquoi les agriculteurs se sont emparés de leur propre communication et qu’ils expliquent, de manière transparence et pédagogique, leur travail quotidien.
Lors de la dernière séquence de ce colloque, le chef de l’État, Emmanuel Macron, a répondu aux questions directement posées par des agriculteurs. Il a clairement indiqué que le « revenu agricole est la mère des batailles » et que sur ce point, la loi Egalim a permis certaines avancées. Citant la bonne organisation de la filière laitière, il a appelé son homologue bovine à « mieux s’organiser et à se moderniser ». Cependant, afin de gommer les imperfections de la loi Egalim, il a annoncé qu’un projet de loi était actuellement en préparation, qu’il serait déposé par le ministre de l’Agriculture et qu’il serait voté avant les prochaines négociations commerciales (prévues à partir d’octobre 2021, ndlr).
Préserver le revenu passe aussi par la « lutte contre la concurrence déloyale, au sein et en dehors de l’Europe », a indiqué Emmanuel Macron qui entend mettre en place des clauses miroirs. « Il faut pouvoir refléter nos contraintes avec les gens avec qui on commerce (…) Notre intérêt, c’est l’ouverture parce que nous produisons pour nous nourrir, nourrir nos voisins, notre proximité, mais aussi pour exporter. Simplement, non à la concurrence déloyale. Et là, il faut être très ferme », a-t-il ajouté.
Questionné sur les aléas climatiques, il a affirmé vouloir « repenser le modèle assurantiel » et même créer «un système totalement neuf» d’assurance récolte, abondé par un financement public. L’agriculture « n’est pas un risque assurable comme les autres », surtout avec les actuels niveaux de revenus agricoles, a-t-il expliqué. Confirmant la tenue d’un Varenne de l’eau, il a regretté que le pays soit « traumatisé par ce sujet », consécutivement au drame de Sivens. Ce Varenne de l’eau « mettra à plat tous les projets » existants (retenues, barrages, etc. ndlr) et les intégrera « dans des projets de territoires », citant l’exemple du Tarn-et-Garonne qu’il a visité en mars dernier. Il entend notamment « simplifier » l’examen des projets de retenues, « définir une méthodologie beaucoup plus rapide et faire sortir ces petits projets en quelques mois, et pas en 18, 24 et quelque fois plus, 36 mois », a-t-il précisé. Interpelé sur les produits phytosanitaires, le chef de l’État a assuré qu’il fallait être « pragmatique » et qu’il ne « laisserait pas les agriculteurs sans solutions ».
Christophe Soulard