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Les dunes : des tas de sable qu’il faudrait fixer à tout prix pour mieux se protéger ? C’est peut-être la définition qui vous vient d’abord en tête à vous aussi, et c’est à peu près tout le contraire. Parce que les dunes, expliquent nos guides du jour, doivent bouger pour mieux renaître. Sans cesse. « Elles font de l’instabilité leur raison d’être », philosophe Vianney Fouquet, chargé de mission au Conservatoire botanique national (CBN) de Bailleul.
Cette fois, notre guide s’accroche au pas déterminé d’Aline Bué pour nous emmener en voyage, « dans le temps et dans l’espace ». Elle, est responsable des gardes du littoral : ils sont sept, salariés du Département du Nord, sur ce secteur de presque 600 hectares de dunes (auxquels il faut ajouter une centaine d’hectares appartenant à la communauté urbaine de Dunkerque, au domaine public maritime…). Dans le Pas-de-Calais, c’est Eden 62 qui gère les plus grandes dunes de la région et même de France.
Les dunes sont protégées, ce sont des terres inaliénables, inconstructibles. « Et 13 % des massifs dunaires de la région sont placés sous protection forte, équivalente au statut de réserve naturelle », précise Vianney Fouquet qui situe : « La moyenne nationale est de 0,2 %. » Dire que ces milieux sont fragiles et précieux. À l’échelle nationale, 10 % du littoral sont recouverts de dunes, qui ont souffert de l’industrialisation (à Dunkerque notamment) ou de l’artificialisation (un peu partout).
Côté nordiste donc, un ensemble de trois dunes – malheureusement fragmentées car séparées par des communes voire des campings comme c’est le cas à Bray-Dunes : les dunes du Perroquet, Marchand et Dewulf situées entre la frontière belge et Leffrinckoucke, à l’est de Dunkerque. On pourrait ajouter la dune fossile de Ghyvelde, « vieille dame » de plusieurs milliers d’années où le lessivage par la pluie a fini par acidifier le sol. Un terrain rêvé pour la Téesdalie à tige nue ou la Jasione des montagnes, plantes typiques des milieux acides qu’on retrouve, dans la région, essentiellement dans la lande du plateau d’Helfaut et dans les dunes fossiles de Ghyvelde ou d’Ambleteuse.
Si la dune du Ghyvelde marquait le trait de côte – trois kilomètres plus loin – il y a 5 000 ans, elle n’a plus grand-chose d’une dune au sol typiquement calcaire. Car à mesure qu’on s’éloigne de la mer et qu’on entre dans les terres, on remonte le temps.
Imaginez un plan de profil avec : la mer, puis l’estran, cet espace ou la marée monte et descend pour déposer la laisse de mer, ensuite la dune embryonnaire qui vient assurer une première protection à la dune blanche (la plus haute et celle à laquelle on pense d’abord donc, pleine de sable et d’oyats), viennent ensuite la dune grise, la dune à fourrés puis, après une zone humide, la dune boisée. Et tout ça forme le massif dunaire, en perpétuel mouvement. Des jeunes dunes blanches aux plus anciennes dunes grises, on voyage dans le temps. « Un voyage important, parce que nous sommes tous des enfants de la dune », poétise Vianney Fouquet.
Lire aussi le portrait de Marc Deswarte, agriculteur au pied de la dune fossile de Ghyvelde.
Les dunes étaient autrefois cultivées par les habitants, qui y plantaient asperges, pommes de terre ou panais et qui délimitaient les parcelles par des aubépines dont on note encore la rectitude par endroits : de véritables dunes ouvrières que les femmes travaillaient pendant que les hommes étaient en mer. Puis il y a eu la Seconde guerre mondiale, apocalyptique dans ce recoin de France, qui a tout balayé.
Depuis, ici, « nous devons empêcher l’immobilité provoquée par l’embroussaillement », prévient Aline Bué. « Quand on fixe un milieu, on atteint le climax végétatif* or ce que nous voulons, c’est que ça bouge, avec des dunes paraboliques qui impriment le mouvement », formule-t-elle.
Les aubépines et les argousiers incarnent l’ennemi numéro 1 des gestionnaires de ces dunes, alors même que les argousiers notamment, permettent de nourrir les oiseaux qui longent les côtes lors de la migration, à l’automne, grâce à leurs baies ultra-riches en vitamine C. Tout est question de point de vue. De celui des gardes du littoral, il faut ouvrir le milieu, laisser les dunes se creuser, le vent passer pour entretenir les pannes par exemple : ces mares naturelles qui offriront de l’eau tout au long de la saison. Elles feront une excellente maternité pour les amphibiens, en tête desquels « le roi des dunes », qualifie la responsable, le crapaud calamite. Un petit modèle très exigeant : monsieur veut de l’eau pour se reproduire, mais pas trop car il déteste la vase et lui préfère le sable. Dans ce cas, il laissera la place au crapaud commun ou à la grenouille rousse, moins précieux. Et une fois l’eau retirée, on verra pousser les orchidées.
Sur les bosses, puisqu’ici tout n’est que relief, on apercevra des chèvres ou des moutons, placés là pour entretenir le milieu, entendez pour boulotter tout ce qui dépasse. Les moutons feront d’excellentes tondeuses à gazon quand les chèvres, voraces et agiles, iront grignoter les buissons et les arbres. Tout ça sans tasser la microtopographie comme le ferait un tracteur, ni s’embarrasser de quelques fleurs ponctuant ici et là le paysage de touches jaunes ou mauves. De vrais trésors.
La violette de Curtis, surnommée pensée des dunes, ne pousse presque qu’ici en France. « C’est son aire de répartition la plus au sud, elle que l’on retrouve surtout en Scandinavie », explique l’un ou l’autre de nos guides qui rappelle qu’avec le dérèglement climatique qui n’aura échappé à personne, elle viendra à disparaître de nos latitudes. Centaurée du littoral ou Blackstonie perfoliée sont encore des plantes rares qui poussent ici. Des petits bijoux, espèces d’intérêt patrimonial, qui font de ce milieu naturel – les dunes et pourquoi pas les estuaires – l’un des plus précieux à l’échelle régionale, « avec les tourbières de la vallée de la Somme », liste le chargé de mission du Conservatoire botanique national de Bailleul qui prévient : « À ce titre, la région a une responsabilité nationale, voire européenne. »
Dans les différents espaces gérés par le Conservatoire du littoral, outre la vingtaine de chevaux et poneys, une cinquantaine de moutons et une soixantaine de chèvres. Et Valentin, le mouton né le 14 février, donc, abandonné par sa mère, nourri au biberon sur le canapé d’Aline Bué puis élevé par les chèvres et qui vit désormais parmi elles, parce qu’il n’a pas bien compris qu’il était un mouton. On le comprend.
Côté faune endémique, on retrouvera parfois – de moins en moins – des élytres de hanneton foulon, gros coléoptère des dunes ; on pourra croiser des chauves-souris, qui se partagent les anciens blockhaus avec les amphibiens, ou encore des cochevis huppés, oiseaux typiques des dunes blanches.
On n’a pas encore parlé des lapins, « derniers garants des milieux ouverts », formule Aline Bué. Ces précieux auxiliaires du milieu dunaire, dont la population a été balayée par l’épidémie de myxomatose dans les années 50 puis par le drainage du polder et le développement des pratiques agricoles. Lui, affectionne particulièrement les milieux ras, à l’image de la dune fossile de Ghyvelde. L’objectif du Conservatoire du littoral est d’en réimplanter régulièrement dans les dunes de Flandre, pour participer à l’entretien naturel. « Nous avons comparé trois modes de gestion du milieu, explique la guide du littoral. Quand on n’intervient pas, on voit les troènes, sureaux et argousiers s’imposer. Quand on fauche chaque année, on retrouve une même espèce. Quand on pratique le pâturage, on observe la plus grande biodiversité» , milite celle qui estime : « Notre meilleur outil est le débroussailleur même si l’idéal serait encore d’avoir un troupeau de moutons et son berger six mois dans l’année. » Ça se fait ailleurs
Kenya, Namibie. On se rêve tantôt dans le désert, tantôt dans la vaste steppe : des paysages qui nous emportent, dignes des plus beaux panoramas africains où, au détour d’une dune, dépassent quelques paires de cornes. Les pieds dans l’eau, la tête dans les épines. Des sables émouvants. « Vastes mais intimes, arides mais humides : les dunes sont instables, contradictoires, et c’est ce qui fait leur valeur », conclut Vianney Fouquet. Pas mieux.
Justine Demade Pellorce