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Félix Flandrin, 32 ans, est petit-fils de maraîcher même s’il avoue ne jamais avoir planté le moindre chou-fleur sur la parcelle audomaroise de son grand-père. S’il se qualifie ainsi, « c’est pour la crédibilité », sourit le trentenaire. C’est que le monde agricole n’est pas si facile à intégrer pour qui n’en fait pas partie.
Allez en parler à Florian Bodart, 34 ans. L’associé travaille, lui, à mi-temps entre la ferme que tous deux bâtissent de leurs mains et un lycée où il est professeur de français.
Le premier a suivi des études de sciences sociales, où il a notamment étudié les questions de développement entre pays du nord et pays du sud, qui l’ont poussé à penser à nos modèles.
Et à les repenser dans la foulée avec un brevet professionnel de responsable d’exploitation agricole (BPREA) qui l’amène à travailler chez divers maraîchers.
L’idée de produire à une échelle raisonnée se concrétise quand Félix retrouve Florian, avec qui il était au lycée, à Saint-Omer (62).
Lui enseigne à Tourcoing. Nous sommes en 2017. Avec sa compagne, ils cherchent à créer un habitat partagé. L’idée de nourrir à la fois les corps et les esprits ne lui est pas étrangère.
Tous deux sont bénévoles pour l’association Terre de liens, qui œuvre à la protection des terres agricoles et à la défense de l’agriculture paysanne en aidant les petits à accéder aux terres.
Ils partagent aussi l’envie de « nourrir les gens dans le respect de la vie du sol, l’écosystème et (eux)-mêmes ». Tout un programme qui commence par la recherche, que dis-je, la quête d’une exploitation.
Pour trouver des terres, ils se tournent vers les collectivités.
« Elles sont souvent de bonne volonté mais n’ont que très peu de vision sur ce qui leur appartient ou non. Le foncier agricole, c’est le gros bazar », observe Florian Bodart.
« Et puis c’était compliqué, alors qu’on n’était pas du sérail, d’aller voir des agriculteurs et de leur demander un morceau de terre », poursuit Félix.
Pourtant le duo aura la chance de croiser la route de Philippe Monsecours.
Il a hérité brutalement de la ferme familiale à Comines (59) et choisit de mettre à disposition gracieusement les terres aux jeunes porteurs de projet. Un an à ce régime permet aux trentenaires de conforter leur envie et leur modèle.
2020 : ils intègrent une Amap (Association pour le maintien d’une agriculture paysanne) en cours de création à Tourcoing. Et finissent par tomber sur une annonce sur Leboncoin : une maison et son terrain sont à vendre au Doulieu (59).
Inabordable pour le duo qui met Terre de liens dans la boucle. La présence à quelques dizaines de mètres d’une ancienne motte castrale, classée aux Monuments historiques et empêchant donc toute construction dans un rayon de 500 mètres a probablement sauvé ce lopin de terre.
Et donné son nom à la ferme : « la Motte aux oies ».
La maison, exclue de ce montage, est transformée en habitat partagé hébergeant actuellement cinq personnes dont Florian et Félix, et les six hectares de terrain (des prairies qui accueillaient les chevaux des anciens propriétaires) sont retournés – une unique fois, le binôme pratiquant le maraîchage en sol vivant – et partiellement équipés de serres.
1 000 m2 de tunnel pour les semis et 5 000 m2 de culture en terre, le reste sert à faire du foin pour pailler les cultures et accueille Benoît, « un copain qui veut lui aussi s’installer et ne trouve pas de terres. Il travaille notamment en traction animale ».
Trente à quarante variétés de légumes sont cultivées, parmi lesquels la tomate, en star incontournable.
« Nous pratiquons un maraîchage diversifié, avec la gamme la plus large possible », explique Florian qui applique ce précepte à sa propre vie puisqu’il a choisi de conserver son poste de prof de français.
« Pas une simple démarche alimentaire, j’aime la complémentarité de ces deux métiers qui ont du sens. Ce n’est pas la même fatigue et tant que j’aurai le choix, je serai pluriactif. »
Une sécurité personnelle aussi pour celui qui consacre trois jours par semaine au lycée et le reste à la ferme, « en dormant un peu entre deux » et, c’est un parti pris permis par leur association, en partant même en vacances l’été.
L’exploitation est certifiée bio et les seuls intrants dans les champs sont du fumier et du compost. Les légumes sont naturellement de saison, pas question de chauffer les serres. Par contre, le duo utilise la technique des couches chaudes.
Grâce au fumier de cheval, ils peuvent conserver sous les serres une chaleur de 20 à 30 °C en plein hiver.
Beaucoup de paillage aussi. « Y compris sur les patates ce qui n’est pas si courant. Mais grâce à ça, pas besoin de les arroser », explique Félix Flandrin qui dit n’avoir pas apporté la moindre goutte l’été dernier et avoir connu des rendements tout à fait acceptables pour eux.
L’eau est naturellement un enjeu. Ils ont fait le choix de ne pas creuser de forage mais de curer une mare envasée pour favoriser la biodiversité et servir de réservoir d’eau et pratiquent du goutte-à-goutte dans les serres.
Toujours dans cette approche globale, ils ont planté plus d’un kilomètre de haies qui abrite la biodiversité et protège aussi les serres du vent, « ennemi numéro un des maraîchers », pense le duo qui explique que les assurances refusent de prendre en compte ces équipements trop fragiles qui constituent pourtant le plus gros de l’investissement des petits maraîchers comme eux.
Comme ils ouvrent aussi les portes aux copains et aux autres à travers l’organisation régulière d’événements associatifs et culturels, Florian et Félix proposent volontiers le gîte et le couvert aux auxiliaires. Les rapaces notamment, très utiles à la culture des jeunes plants qui subissent une forte pression des rongeurs.
Pour ça, ils ont décidé d’installer des nichoirs financés par la communauté de communes de Flandre intérieure (CCFI) qui avait aussi financé les travaux sur la mare.
Au-delà de leurs légumes, les trentenaires cultivent ni plus ni moins qu’un écosystème où chacun doit pouvoir trouver sa place. Heureux de voir qu’à moins de deux kilomètres à la ronde, émergent quatre fermes paysannes comme celle-là, Florian et Félix rêvent à une amplification du mouvement.
2017. Les chemins des anciens copains de lycée convergent autour des valeurs de l’agriculture paysanne.
2020. Ils testent leur activité et leur modèle sur des terres mises à disposition gracieusement à Comines.
2021. Ils créent leur ferme de la Motte aux oies, exploitation de maraîchage biologique au Doulieu, où ils sont associés.
Justine Demade Pellorce
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