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De la fabrication de surfs en composite à la production de l’unique sel des Hauts-de-France ou à celle d’une moutarde prisée par les chefs étoilés, il n’y a qu’un tout petit pas. Pour Xavier Helsmoortel en tout cas. Le natif de Calais (62), aujourd’hui installé dans la commune voisine des Attaques, a passé sa vie à se réinventer avec pour ligne conductrice une forme de débrouille qui lui aura permis de rebondir, mais aussi de réaliser ce que la plupart n’auraient même pas osé imaginer.
À 63 ans, il se prépare à honorer salons de producteurs et marchés de Noël avec ses pots de fleur de sel, sa pâte à tartiner au caramel et ses biscuits. Et pourtant, Xavier Helsmoortel a fait une grande partie de sa carrière dans la fabrication d’objets et de machines en composite. Vous ne voyez pas le rapport ? C’est normal, remontons un peu le fil.
Notre passionné a une trentaine d’années quand, après avoir vécu et travaillé, outre-mer notamment, il quitte un emploi de fonctionnaire pour se lancer dans la fabrication de planches à voiles et de surfs ainsi que des skis en composite à Calais. ” Ça me plaisait “, lance-t-il comme un argument suffisant, mais aussi nécessaire.
Car c’est là le moteur de notre ingénieux. ” Rapidement, l’industrie est venue me chercher. J’ai ensuite monté ma boîte, toujours dans le composite : nous fabriquions des systèmes d’oxygénation pour l’aquaculture, ainsi que des systèmes d’assainissement. Vous voyez les îles en forme de palmiers (à Dubaï, ndlr), eh bien nous leur avons fait tous les tuyaux pour les pompes “, illustre le sexagénaire sans fanfaronner.
C’est que ses mille vies offrent autant d’histoires à partager. Il y a cette folle période où, avec sa compagne, ils avaient racheté un trois-mâts en Écosse, qu’ils avaient retapé puis aménagé en restaurant, longtemps installé dans le port de Calais. Et il y a ” le sel “.
” Un jour, je montais des oxygénateurs sur l’île de Ré. Le voisin était saunier et, comme il pleuvait sans cesse, sa production de sel n’avançait pas. Je lui ai proposé de lui bricoler un système avec des pompes mais il a refusé car son grand-père ne faisait pas comme ça. “
Pas le genre d’argument qui arrête l’inventeur perpétuel et quand l’un de ses amis, ” qui avait travaillé toute sa vie dans le cirque ” se retrouve à 65 ans avec une toute petite retraite, Xavier Helsmoortel lui propose de se lancer dans le sel. ” J’ai bricolé des pompes et il a fait du sel à Saint-Laurent-de-la-Salanque comme ça, pendant plusieurs années. ” Quand son ami décède, le défricheur n’hésite pas longtemps à se lancer, seul, dans la région.
Et si on n’imagine pas produire du sel dans le nord de la France, on a bien tort. Primo, parce que où il y a la mer, il y a du sel. Secundo, parce que figurez-vous que le jambon préféré des Romains pour les fêtes de fin d’année était préparé par les Ménapiens, peuple installé le long de la bande côtière de la mer du Nord et qui salaient leur viande d’un sel produit entre Calais et Marck, où les archéologues ont retrouvé les vestiges de nombreux marais salants. Tout ça pour dire que Xavier Helsmoortel n’invente rien, si ce n’est l’audace.
Concrètement, il se rend avec un agriculteur au bout du cap Gris Nez, sur la commune d’Audinghen où, à marée basse pour éviter tout risque de pollution avec l’eau des terres, ils remplissent une citerne. ” C’est l’une des eaux les plus propres de France, un bras du gulf stream qui arrive là sans être souillé par les industries ni les estuaires, situé sous le nez du Cross (centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage, ndlr) où aucun navire n’irait s’amuser à dégazer “, égraine le néo-paludier – puisque c’est le nom qu’on donne aux personnes travaillant le sel au nord de la Loire – qui précise encore que les prélèvements hebdomadaires de l’Ifremer (Institut de recherche sur la mer) sont excellents et les élevages de moules voisins certifiés bios.
Cette eau, il la place ensuite dans les bassins qu’il a fabriqués, aux Attaques. Des bassins, en composite évidemment, dotés d’un système complexe de pompes qui lui permettent de rentrer son eau quand il pleut, pour éviter sa dilution, puis de la sortir pour qu’elle termine son évaporation en sel. “ Il faut compter deux à trois semaines pour diminuer le volume d’eau par douze, l’eau de mer étant concentrée à 30 g par litre et le sel cristallisant à 350 g par litre “, calcule celui qui voit, ” à la couleur de l’eau ou au mouvement des vaguelettes ” à quel stade il en est.
Au total, il produit deux tonnes de fleur de sel par an et rien d’autre. ” Le reste ne m’intéresse pas “. Un produit unique qu’il commercialise sous le nom de “Fleur de sel des 2 caps” et qu’il conditionne en différents pots, mais propose aussi en version aromatisée, à la chicorée ou aux graines de moutarde par exemple. C’est grâce à cette fleur de sel que le rock’n’roll chef défenseur du terroir Florent Ladeyn est passé de l’utilisation de 99 % de produits locaux, “sauf le sel“, à 100 %.
L’un de ses derniers défis en date : produire de la moutarde cultivée dans son jardin. Ou presque. En 2019, il décide de planter 8 000 m2 de graines sur des terrains qui accueillaient autrefois ses chevaux. Mauvaise météo et cumul de galères : la production est nulle. En 2021, ce n’est pas beaucoup mieux, faible récolte et qualité moyenne avec, comble de la malchance, un orage qui éclate alors que la moissonneuse-batteuse arrive au bout du chemin.
“Nous nous sommes alors rapprochés d’un agriculteur, à Marck, qui a planté deux hectares pour nous. La météo de cet été nous a été particulièrement favorable et nous avons cette fois un rendement 2022 extraordinaire“, se réjouit Xavier Helsmoortel, qui n’a plus qu’à transformer ces graines en moutarde.
Une moutarde artisanale dont il a vendu beaucoup de pots de douce, mi-forte ou forte en raison de la pénurie, et qu’il décline en aromatisées. “Voyez la moutarde aux noix, elle contient de l’huile de noix et des noix, beaucoup de noix, mais pas d’arômes ce qui lui donne un goût et une texture incomparables“, raconte celui qui compte parmi ses fidèles clients un chef étoilé d’Armentières qui ne jure que par cette moutarde. “Somptueuse” : ce serait le qualificatif du chef.
D’autres recettes très locales sont proposées comme la moutarde bière-chicorée, toujours sans arômes artificiels.
Et comme il semble difficile d’arrêter le touche-à-tout – et en même temps pourquoi donc l’arrêter ? – Xavier Helsmoortel s’est lancé dans la confection de biscuits aux noms et formes singuliers : la dentelle de Calais, le 800 (comprenez Wissant)… Sans oublier les bonbons au caramel au beurre salé qui auront mis un peu de temps à voir le jour. Il faut dire que notre homme construit lui-même la machine pour les emballer !
Justine Demade Pellorce
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