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La bière qui coule, cet après-midi-là, est noire et laisse un goût de café au fond du palais. Le fromage de chèvre, quant à lui, s’est paré d’éclats de charbon végétal. Impossible de manquer les deux thèmes de l’événement Upernoir, qui s’est dévoilé le 22 mai dernier, lors d’une conférence de presse à Grenay (62) : la couleur noir et la bonne chère.
Le patrimoine, la terre, la ruralité, en bref, le terroir sera également à l’honneur puisque Upernoir se veut être « une invitation à explorer un territoire et ses curiosités ».
Du 1er au 11 juin, des expériences culinaires plus originales les unes que les autres seront ainsi proposées dans le bassin minier.
À l’instar d’une « sieste noire » suivie par une dégustation de pinot noir, d’un dîner dans un champ de pommes de terre, d’un concours de tartes (noires, évidemment) ou encore d’une rando terril et terrine.
Après une première édition consacrée au vélo en 2021, Upernoir profite de l’obtention du label Région européenne de la gastronomie par les Hauts-de-France en 2023 pour exposer le savoir-faire culinaire du « pays noir ».
Ainsi, la brasserie Bonne bière, qui commercialise la Dark ale citée plus haut, dont le malt a été torréfié (très) longtemps pour obtenir cette couleur, se situe sur l’ancienne fosse d’Hérin, dans le Valenciennois, où trois puits de mine successifs ont été en activité.
Le fromage de chèvre noir issu de l’élevage Les Chevrettes est une création exclusive, qui ne pourra être dégustée que durant Upernoir. Elle sera servie en haut du terril de Rieulay.
« Les pieds dans la paille et dans le charbon », précise l’un des gérants, Olivier Graf.
« Le bassin minier est, depuis toujours, l’endroit d’une cuisine de qualité et créative », assure Jérôme Prévost, chef du restaurant gastronomique du même nom à Douai.
« Quelques marqueurs forts, comme les frites, la carbonnade, et d’autres plats en sauce ont eu tendance à écraser les autres produits de la région », poursuit-il, avant de déclamer une ode aux asperges de Bugnicourt et à l’ail noir de Cuincy.
Pour ce chef, la cuisine est locavore à 80 %. Upernoir est surtout l’opportunité de montrer la part de subtilité et de raffinement que contient la gastronomie du Pas-de-Calais.
Le 4 juin prochain, jour de fête des mères, il organisera un dîner sous la serre des Jardins de Cocagne, à Sin-le-Noble, au beau milieu des pieds de tomates. L’occasion d’un coup de projecteur sur les maraîchers et les producteurs du coin, qui œuvrent en coulisse et « à qui l’on doit tout le contenu d’une bonne assiette », rappelle Jérôme Prévost.
Au sein du bien-nommé réseau Upermiam, se réunissent plus d’une cinquantaine d’artisans, producteurs et restaurateurs. Une approche partenariale qui se trouve au fondement même du projet.
« Cet événement n’existe que parce que l’on y réfléchit collectivement », insiste Ludivine Seulin Lacroix, cheffe de projet. « On s’adapte au rythme des agriculteurs notamment, qui ont souvent la tête dans le guidon. Ils n’ont pas forcément le temps d’aller chercher des partenariats. On leur montre ce qu’une participation à Upernoir peut leur apporter », explique-t-elle.
L’ambition est d’impulser une dynamique et de faire, à terme, émerger un écosystème économique pérenne.
Si les retombées de la première édition, qui s’est déroulée en 2021, sont compliquées à chiffrer. Du fait de la crise sanitaire, certains « on dit » ne trompent pas. Il se raconte par exemple que le « pavé du nord », dessert spécialement pensé pour Upernoir par le chef du restaurant Au gré des sens, à Rosult, a été tant réclamé qu’il a fallu l’inscrire définitivement à la carte, et en doubler les quantités produites…
Olivier Graf, gérant du restaurant Les Chevrettes qui avait également participé à la première édition, concède n’avoir « pas pu profiter d’une hausse de fréquentation à cause du covid ».
Le patron fait toutefois état de retombées médiatiques positives et d’un gain de notoriété.
« C’est grâce à ce genre d’événements que les habitants de la région reprennent confiance, en eux, et en ce que vaut leur territoire », rapporte-t-il.
Ainsi le noir, autrefois triste et maussade, est aujourd’hui assumé, célébré même, pour son atypisme et l’identité forte qu’il incarne. Il est la terre, la ruralité, la fertilité, et la couleur, aussi, d’un tourisme d’un nouveau genre.
Upernoir, de fait, répond à une interrogation qui taraude le « pays noir » depuis la désindustrialisation et la nécessité d’une reconversion.
« Comment devenir touristique ? » « Certains n’y croient pas », raille le président de Pas-de-Calais Tourisme, Philippe Duquesnoy, avec l’air de dire : « Et ils ont tort ».
Longtemps, le Pas-de-Calais n’était pas de taille face à la Côte d’Opale, qui drainait tous les visiteurs de la région.
En 2012 toutefois, l’installation du Louvre-Lens et le classement du bassin minier au Patrimoine mondial de l’Unesco permettent l’émergence d’une nouvelle destination touristique : Autour du Louvre-Lens (ALL), qui comprend le bassin minier et l’Artois.
« Nous accueillons maintenant des personnes à la recherche d’une autre forme de tourisme », note Philippe Duquesnoy. Un tourisme « responsable, culturel, historique, de courte durée et événementiel. »
Depuis dix ans, l’effort conjugué d’une politique culturelle publique proactive et des acteurs privés qui se mobilisent parvient à booster l’attractivité du territoire : « Au restaurant, je rencontre des Parisiens, des Belges, qui viennent passer des week-ends chez nous et ils sont unanimes : c’est quelque chose qu’ils n’auraient jamais imaginé il y a dix ans ! », s’enthousiasme Olivier Graf. Tous espèrent désormais que les visiteurs feront le déplacement pour Upernoir, avec en tête une promesse que répète joyeusement Philippe Duquesnoy :
« On va les épater ! »
Marion Lecas
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