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” Une passion. ”
Voilà comment Jonathan, travailleur à l’Esat (établissement et service d’aide par le travail) d’Armentières (59) appartenant aux Papillons Blancs de Lille, qualifie le métier de brasseur qu’il apprend depuis quelques années au sein la brasserie.
Arrivé jeune vingtenaire à la brasserie, il était ” un petit peu bête dans (s) a tête ” de son propre aveu. ” Puis j’ai mûri, sur certaines choses au moins. Je me suis investi et ça a porté ses fruits. “
Jonathan, travailleur à l’Esat © J.P.D
Aux côtés de celui qui a aujourd’hui 27 ans, Thierry, moniteur en brassage.
Il accompagne les quelques travailleurs directement impliqués dans le processus de production de la bière, auxquels se greffent une dizaine d’autres, dévoués aux missions parallèles (embouteillage, étiquetage…).
L’une des singularités de cet Esat est bien la présence d’une brasserie, deux même depuis que la première a été jugée trop petite pour suivre la cadence et flanquée d’une seconde, plus grande, en 2021.
À l’Esat d’Armentières, on brasse de la bière. Et pas pour rigoler.
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Si les clients extérieurs de l’Esat ont une exigence de délais et de qualité équivalente à leurs autres sous-traitants – ” c’est fini le temps où certaines entreprises faisaient appel aux Esat par gentillesse et c’est tant mieux “, indique la directrice du site -, ceux qui jugent la bière le font sans a priori. Et valident !
Les Papillons blancs sont l’une des associations nationales de prise en charge des personnes en situation de handicap.
Elles sont divisées en bassins avec chacune leur projet.
L’Esat d’Armentières appartient aux Papillons Blancs de Lille.
C’est une association parentale et militante dédiée au handicap mental et qui compte Instituts médico-éducatifs (IME), centres ou maisons d’accueil, foyers… et Esat, les établissements et service d’aide par le travail.
Sept sur la région lilloise et une entreprise adaptée forment le groupe Malécot (un millier de travailleurs). Ce nom est un hommage à Léonce Malécot, fondateur des Papillons blancs il y a 70 ans à Lyon.
” Le directeur de l’époque avait eu le nez creux en décidant de lancer une petite activité de brasserie, en 2010, salue l’actuelle directrice. Deux ou trois recettes étaient alors créées avec un brasseur belge, qui brassait et nous livrait. Notre objectif étant de créer un maximum de postes de travail, nous avons lancé la production en propre en 2014, dans une petite brasserie créée sur le site (250 hectolitres par an). ”
La première gamme de bières de l’Esat – la Léonce – rend hommage au fondateur des Papillons Blancs, Léonce Malécot.
En 2016, Élizabeth Zurek, arrivée dans les murs un an plus tôt, découvre en écoutant la radio qu’un concours récompense les meilleurs produits au Salon de l’agriculture.
Curieuse, elle choisit d’inscrire deux bières. ” À notre grand étonnement, on décroche alors deux médailles, savoure encore la directrice. Nous avons réitéré en 2019, pour vérifier que ce n’était pas une erreur : deux nouvelles médailles. “
Depuis, 31 médailles se sont amoncelées sur le mur des trophées, issus du Concours général agricole, du concours de Lyon (dont le jury est composé de brasseurs), et du World beer award.
Si l’équipe de l’Esat a confiance en ses produits, c’est une autre histoire de se voir reconnus par les autres.
Et tout un symbole car ces prix résultent de tests à l’aveugle. Les bières de la brasserie sont traitées comme les autres.
Pas rien quand on travaille sur l’inclusion.
” En 2019 nous avons eu la chance de livrer l’Élysée et après nos médailles, le rythme s’est accéléré et on n’a plus pu répondre à la demande “, rembobine Élizabeth Zurek.
Après des années de programmation et d’argumentation, c’est une nouvelle brasserie d’une capacité de production de 1 000 hectolitres annuels qui vient s’adosser au site. Au sein d’un pôle alimentaire de 1 000 m2 accueillant aussi l’activité traiteur et restauration.
Et les quelques bars et restaurants du début sont rejoints par un vaste réseau de distribution, des commerces de proximité aux supermarchés. 1 600 hectolitres annuels sortent de la brasserie.
Les bénéfices, s’il y en a, sont réinjectés dans l’outil de production, dans les fonds propres de l’association et en partie redistribués aux travailleurs.
Parmi lesquels Sandrine, 47 ans dont 25 passés à travailler ici, d’abord au conditionnement et plus récemment à la couture, ou Sarah, 32 ans et un sourire solaire, dont les membres déformés ne l’empêchent pas de procéder à l’étiquetage minutieux des bouteilles de bière.
Il y a aussi Ali, 59 ans, arrivé là en 2010 et qui se découvre un goût pour la cuisine.
En train de cuire des samoussas à la viande hachée à l’odeur alléchante, il explique : ” Je prépare un RAE, c’est comme un diplôme (en réalité une reconnaissance des acquis professionnels, ndlr)”.
Mais il prévient déjà : “Je n’irai pas travailler à l’extérieur, je suis bien là. ”
Comme Ali, une quinzaine de personnes travaillent au service traiteur.
Et il y a Jonathan donc, le brasseur en devenir. Car figurez-vous que le jeune homme, qui n’aimait pas la bière en arrivant là, a ” appris à goûter les bonnes bières “. Pas le choix pour lui, car la brasserie c’est sa révélation. ” Tout est intéressant dans le processus, ça peut être différent chaque jour. ”
Son moniteur abonde : “ Si les grandes étapes sont toujours les mêmes, il n’y a pas de routine car on travaille sur du vivant. ”
Houblon de la coopération Coophounord à Bailleul dans la mesure du possible, malt français, sucre candi belge pour une gamme d’une dizaine de bières et quelques saisonnières.
La production de bière demande faculté d’adaptation et minutie, patience aussi quand on sait qu’un brassin, quand il est lancé, durera sept à huit heures incompressibles. Si tout va bien.
Chacun ici se souvient de ce jour où, le brassin à peine lancé, Thierry se blesse et doit se rendre à l’hôpital.
La question se pose alors de tout jeter ou non. La réponse vient de Jonathan : il peut le faire.
Et pour la première fois, il réalise le processus seul, sans supervision. Et réussit non seulement sa bière, mais la voit médailler au concours suivant.
Pas rien pour le jeune homme dont personne n’a jamais douté. N’empêche qu’avec une médaille, on croit tout de suite mieux en soi, Esat ou pas Esat.
Si bien que le jeune homme a décidé de passer un titre professionnel à Douai. Pour lequel il a déjà suivi une formation de préparation dans laquelle il était loin d’être le dernier.
La suite logique, et une victoire pour l’équipe comme pour le jeune homme : l’intégration à terme dans une brasserie classique, où il sait déjà qu’il sera ” moins protégé qu’à l’Esat, avec des horaires parfois compliqués “.
Mais il est prêt à accepter les contraintes de la “vraie vie” et à voler de ses propres ailes car il a trouvé sa place. Et une passion.
Comme les 130 travailleurs de l’Esat armentiérois, Jonathan a d’abord fait le tour des postes de travail pendant six mois avant de définir, accompagné par un conseiller, son projet professionnel.
Et s’ils ne dépendent pas du Code du travail mais de celui de l’action sociale et des familles (CASF) ce qui interdit toute embauche ou licenciement, ce n’est pas parce qu’ils sont des travailleurs handicapés qu’ils n’ont pas voix au chapitre.
Ici tout est fait sur mesure, afin que les postes soient au service des travailleurs et non l’inverse.
Contrairement au monde du travail extérieur, on n’est pas sur une quête de rentabilité – on estime qu’un Esat possède le tiers de capacité de travail d’un établissement de droit commun – mais bien d’inclusion.
Au sein de l’établissement d’abord, mais aussi dans la vie extérieure et, c’est l’objectif ultime, dans le monde du travail classique.
Élizabeth Zureck, la directrice le rappelle.
” Grosso modo, un tiers des travailleurs résident en foyers spécialisés, un autre tiers chez leurs parents et un dernier tiers vivent seuls ou en couple. De même, on peut globalement faire trois tiers concernant leur statut : sous tutelle, sous curatelle ou autonome.
Ils ont leur vie et notre mission est de les inclure au plus possible dans le droit commun, y compris pour leurs démarches administratives ou sociales afin qu’ils ne dépendent pas de nous une fois hors des murs. “
Pour la responsable de l’établissement, ” le travail en Esat participe de manière indirecte à l’inclusion, et plus encore quand les travailleurs peuvent intégrer le droit commun (un tiers des 1 000 travailleurs du groupe sont concernés à un moment ou un autre par le travail à l’extérieur, ndlr).
C’est aussi un lieu de sociabilisation, de travail sur soi : il faut parfois commencer par travailler la présentation, l’hygiène ou la posture professionnelle. Il arrive que certains jeunes qui arrivent prennent la pause pour une récréation. On leur apprend qu’il n’est pas question de courir après un ballon ou de s’embrasser dans un coin. ” Puis ils développent des compétences, et dans le meilleur des cas ils apprennent un métier.
Les travailleurs touchent plus ou moins un Smic mensuel, composé du salaire direct, d’aide au poste et d’un complément allocation adulte handicapé (AAH) de la CAF.
À l’Esat d’Armentières, 25 salariés accompagnent les travailleurs dont une dizaine de moniteurs et une équipe éducative (éducateurs spécialisés, conseillers, psychologues), ainsi que les services généraux autour de sept métiers, sur les 14 existant dans le groupe Malécot des Papillons Blancs de Lille :
Claire Duhar
Justine Demade Pellorce
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