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Ils sont une bonne cinquantaine, dans la salle des fêtes de Raismes (59), à examiner des tables garnies d’ingrédients. Sur chacune d’entre elles, sont inscrits une recette et un thème de débat : ceux qui prépareront la salade tomate pastèque et le houmous de poivron devront discuter « démocratie alimentaire », ceux qui s’attaqueront aux œufs mimosa à la betterave rouge parleront « approvisionnement », les becs sucrés qui préféreront la mousse poire pavot devront trancher : « Doit-on promouvoir le bien manger ? »
Parmi les participants, des chefs cuisiniers, des techniciens de la Chambre d’agriculture, des responsables en restauration collective, des jardiniers, des associatifs, des élus, maires ou vice-présidents à la communauté d’agglomération de la Porte du Hainaut (CAPH)… Tous ont troqué leurs costumes d’experts contre leur plus bel habit de mangeur, afin de « développer une culture commune autour du bien manger ». « L’idée en cuisinant ensemble c’est que chacun sorte de sa posture, de son argumentaire : on a créé de la convivialité pour favoriser la coopération », analyse Antoine Demailly. Coordinateur de l’association Les Sens du Goût, il pilotait cet atelier du 26 septembre.
C’est le Projet Alimentaire Territorial de la Porte du Hainaut qui a permis de réunir tant d’acteurs autour de la table. Trois lettres, PAT, un label et une enveloppe de 100 000 euros financée par l’Ademe. Le tout pour permettre aux élus de la CAPH de déplacer la thématique de l’alimentation à l’échelle du territoire. « Avec le PAT, on se positionne sur plusieurs compétences, détaille Nicolas Lebrun, chargé de mission stratégie alimentaire durable pour la CAPH. Notre porte d’entrée à nous, c’est l’environnement, nous avons inclus le PAT dans le Plan climat, mais en interne, on travaille beaucoup avec les collègues de la cohésion sociale, de la ruralité, de la santé, de la culture, du commerce de proximité… »
De fait, l’alimentation, sujet ô combien transversal, regroupe une multitude de défis. La communauté d’agglomération de la Porte du Hainaut concentre une forte activité agricole (47 % de sa superficie). Or, la production agricole profite peu aux habitants de la CAPH car ses produits vont en dehors du territoire. Ainsi, le Valenciennois souffre d’une faible autonomie alimentaire qui se révèle être un obstacle à la résilience alimentaire. Enfin, les indicateurs santé, très dégradés, interrogent sur le lien entre santé et accès à une alimentation de qualité. « Une étude a montré que l’indice de développement humain (IDH) du territoire est mauvais : il se situe à 0,4, contre 0,51 en région, sachant que les Hauts-de-France ne sont déjà pas avantagés », détaille Nicolas Lebrun.
Afin de répondre à ces défis, la CAPH, qui se veut avant tout coordinatrice, ambitionne de décloisonner le système alimentaire du territoire qui, jusqu’ici, « ne favorise pas les interactions entre les différents acteurs qui le compose : producteurs, transformateurs, distributeurs et consommateurs », regrette Nicolas Lebrun. « C’est en décloisonnant que ça va mener à des innovations. Parfois c’est l’acteur du social qui a réponse à la problématique de logistique des derniers kilomètres d’acheminement des produits locaux par exemple », illustre à son tour Antoine Demailly.
La concertation – autour d’une table ou pas – est nécessaire afin d’identifier les besoins : de quoi a-t-on besoin pour mieux manger ? Restauration collective et producteurs doivent se rencontrer, les outils et cuisines centrales ont intérêt à être mutualisés, les actions de sensibilisation directes à se multiplier. L’objectif est d’instaurer des changements pérennes, systémiques. « C’est aussi un levier important pour le monde agricole, qu’on veut accompagner vers une évolution des pratiques en proposant, derrière, des débouchées. L’idée est de définir les besoins d’une restauration collective de qualité et voir dans quelle mesure les agriculteurs locaux peuvent y répondre », précise Nicolas Lebrun.
Le PAT de la Porte du Hainaut vient tout juste de voir le jour, le 11 mai 2023. Il a pu s’inspirer de son grand frère, précurseur en la matière et premier labellisé de la région : le PAT du Douaisis (lire aussi notre article à ce sujet). « Avant la création des PAT, en 2014, il n’existait pas de politique de l’alimentation, ou très peu, détaille Antoine Demailly. Il y avait une politique agricole, c’est tout. »
En parvenant à réunir ses forces vives autour du bien manger, le Douaisis a obtenu des résultats probants. Dont l’installation de nombreux producteurs bio et une nette amélioration des cantines scolaires, bien en avance de la loi Egalim, promulguée en 2018. En avril 2023, la région comptait 28 PAT labellisés. Dont 25 territoires « émergents », à l’instar de la Porte du Hainaut. Et 3 « en action » : la communauté d’agglomération de Béthune-Bruay Artois Lys Romane, la communauté de communes Sommes Sud-Ouest et, évidemment, le Douaisis.
Marion Lecas
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