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Politiste et sociologue de formation, Mathieu Gervais s’est notamment intéressé au rapport de l’homme à la nature. Question traduite par son choix de dédier son doctorat au lien entre agriculture et religion (Nous, on se sauve nous-même – Sécularisation, identité paysanne et écologie, paru chez Van Dieren éditeur). C’était en 2015 et, s’il prévient ne pas s’être repenché sur la question depuis, le constat demeure : le milieu agricole reste celui qui compte le plus de pratiquants et son organisation, y compris politique, a été et reste nourrie de cette influence.
Aujourd’hui Marseillais, Mathieu Gervais, 37 ans, a enseigné un temps les liens entre écologie et religion à Sciences Po Lille. Lui n’est pas issu du monde agricole, mais il a « toujours été intéressé par la nature, notamment lors des séjours dans la maison de famille des Hautes-Alpes ». Et lorsqu’il a voulu se pencher sur le rapport entre écologie et religion, l’agriculture lui a semblé le terrain idéal.
Pour comprendre ce rapport aujourd’hui, il faut regarder vers hier. Traditionnellement, les organisations professionnelles conservatrices s’opposaient au progrès technique mais un changement s’opère après-guerre : « Les catholiques vont soutenir les agriculteurs modernistes, en accord aussi avec l’esprit gaulliste. Le discours théologique lui-même va changer, passant d’une philosophie créationniste, qui prône l’ordre éternel des champs, à l’idée qu’il faut faire de la terre un monde meilleur, moins subir et progresser. »
Une évolution que l’on retrouve dans les organisations agricoles. « Christiane Lambert se revendiquait du catholicisme social. Les grands noms des mouvements agricoles, Michel Debatisse (FNSEA) ou Bernard Lambert (dont le syndicat “Paysans travailleurs” donnera naissance à la Confédération paysanne), ont milité ensemble dans les jeunesses catholiques avant une scission, au nom de valeurs politiques : d’accord sur une théologie qui prône le progrès, Debatisse pensait progrès technique et économique quand Lambert pensait progrès social via la lutte politique. Les réseaux qui existent aujourd’hui dans le monde agricole découlent en partie de ces dissensions entre catholiques de droite et catholiques de gauche », observe Mathieu Gervais. Produire plus ou produire mieux : la question est toujours aussi vive aujourd’hui.
Si elle a eu, et continue d’avoir son importance, la religion recule aussi dans les campagnes. Moins vite, c’est tout. « Quand, en 1850, vous vouliez un emploi, il fallait montrer que vous étiez un bon croyant, en allant à la messe. C’est de moins en moins vrai en France depuis les années 50, et plus du tout depuis les années 60. » Dans la France des villes, parce que « dans les campagnes, comme la chasse ou le foot, la messe reste un lieu social » où se joue l’importance des réseaux. Et « moins il y a de gens, plus ils comptent. Une prégnance des réseaux, amicaux, professionnels, mais aussi religieux ou politiques. Principal réseau étiqueté : le MRJC pour Mouvement rural de la jeunesse chrétienne : c’est intéressant car souvent, quand l’État veut organiser quelque chose en milieu rural, ils sont là », a pu observer Mathieu Gervais.
Les agriculteurs restent la profession la plus pratiquante (lire en page 5). Chiffre que le chercheur relativise : « Il est compliqué de compter les gens qui croient, d’autant plus que les pratiques s’individualisent de plus en plus. En sociologie on parle de bricolage, ça vaut notamment pour les plus jeunes qui, moins éduqués au fait religieux, se créent leurs propres croyances. On parle en fait de spiritualité. » D’un point de vue statistique toujours, la couleur politique du vote est évidemment liée : « On observe chez les agriculteurs une surreprésentation des votes conservateurs, voire d’extrême-droite », relate le politiste de formation.
Les nouvelles générations sont, elles, moins conditionnées, se fabriquant leur petite popote spirituelle sur fond de valeurs chrétiennes. L’ouverture aux autres cultures, les voyages et les perspectives qu’ils élargissent, nourrissent davantage une quête de sens, et de cohérence. Comme dans l’Islam, où existe l’idée pour certains qu’être un bon musulman, c’est être hors des contradictions du monde et où l’agriculture peut permettre cette cohérence entre les valeurs et les pratiques. Cohérence aussi défendue par Pierre Rabhi quand il disait : « En prenant soin de la terre on prend soin de l’humanité tout entière, tout est relié », et par la vague d’agriculteurs paysans en général.
Dans ce clivage anciens / nouveaux, « la question du vivant est très intéressante », estime Mathieu Gervais qui précise : « Les jeunes vont vouloir faire de la permaculture, ne rien toucher. Les anciens vont leur opposer la nécessaire intervention humaine. » La vérité se situe probablement entre les deux et « on observera une acculturation réciproque, un partage de pratiques et de valeurs ».
Au-delà de ça, il n’est pas si facile de faire sa propre transition pour les enfants d’agriculteurs qui, lorsqu’ils reprennent l’exploitation, « ont beau vouloir ne pas faire comme papa, baignent dans le même réseau professionnel, lui-même très imprégné des valeurs religieuses fondatrices ».
Justine Demade Pellorce