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« Votre fille ne parlera jamais. Votre fille ne marchera jamais. » Voilà le pronostic qu’a délivré un médecin il y a plus de 26 ans au père de Léa. « On ne devrait jamais annoncer quelque chose comme ça à des parents », glisse Christophe Leclercq alors qu’une larme roule discrètement. Ce jour-là, on ne voit que la force et la volonté qui se dégagent du joyeux binôme qu’il forme avec sa fille, aujourd’hui âgée de 27 ans et qui le taquine sans arrêt. Car non seulement elle parle, mais elle marche. Et court, pédale, skie et… Mais rembobinons.
C’est à la naissance que Christophe et Sandrine Leclercq découvrent que leur fille est atteinte d’un handicap : « Une heure après l’accouchement, on nous annonce qu’elle a probablement un problème génétique : son faciès, son angiome au-dessus de l’œil, l’hypertonie de ses membres… », raconte le père qui résume les moments d’après, entre déni et abattement. Jusqu’au sursaut et à cet élan : il faut avancer.
Pendant des mois, puis des années, les examens s’enchaînent, il parle de « la bataille des examens génétiques ». Les allers-retours à l’hôpital Necker, à Paris, pour essayer de mettre un nom sur la maladie (on rompt le suspense, il s’agit du syndrome PACS1, pas de traitement connu, 30 cas en France et 250 dans le monde) ; les visites chez les spécialistes pour avancer, progresser quand même faute de diagnostic et de traitement.
« Nous avions notamment trouvé un super spécialiste de l’ostéopathie crânienne chez qui nous faisions l’aller-retour tous les mois… à Metz », liste Christophe Leclercq que les kilomètres n’ont jamais arrêté. Des séances qui font bien avancer les choses du côté de la petite Léa, que ses parents stimulent, entraînent, encouragent pour faire mentir la prophétie du médecin. Et à 27 mois, Léa marche.
Des premiers pas qui en annoncent d’autres. Elle parlera aussi, avec quelques difficultés dont les habituées s’accommodent pour pouvoir profiter de son humour. Elle apprendra à faire du vélo, d’abord avec les pieds élastiqués aux pédales parce qu’ils ne tiennent pas, jusqu’à faire aujourd’hui des randonnées en tandem avec son sportif de paternel à qui la centaine de kilomètres qui séparent Lille de Hardelot ne fait pas peur. Puis le ski, jusqu’à descendre des pistes rouges aujourd’hui. Pas si mal pour une enfant qui ne marchera jamais.
Et comme on est du genre volontaire dans cette famille, Léa annonce, quelques jours avant ses 15 ans alors qu’elle fait le tour du lac d’Annecy en tandem avec son père : « Pour mon anniversaire, je veux faire du parapente ! » Et c’est parti pour les grandes envolées : parapente, ULM. Entre-temps Léa a appris à écrire, grâce aux lignes que son patient de paternel lui a fait faire, soirs après soirs après soirs. « Par contre, ce n’est pas moi qui lui ai appris à lire. Ça, c’est Nagui. » Car la petite fille qui aime la musique regarde l’émission N’oubliez pas les paroles et, à force, elle se construit non seulement une culture musicale, mais elle apprend à déchiffrer les paroles sur l’écran.
Pendant tout ce temps, Léa fréquente un IME (Institut médico-éducatif) où elle apprend la cuisine. Il faut dire que ça aussi, c’est de naissance. « Quand elle était petite, nous lui avions créé une salle de jeux mais elle n’y était jamais. Elle était toujours dans la cuisine, avec sa mère. Il n’y avait que ça qui l’intéressait », explique Christophe Leclercq.
Et quand il a fallu imaginer l’après IME, à 20 ans, la cuisine s’est imposée. « J’ai sorti la voiture du garage et nous avons créé un atelier de cuisine : 30 000 euros de travaux et d’équipements. » Plan de travail en inox, four à pizza, four à pâtisserie, plaques de cuisson viennent équiper le premier atelier. Bientôt prolongé à l’arrière et doté d’un pétrin et de machines sous vide pour conditionner les petits plats que Léa concocte.
Elle est aidée par une salariée de l’association Les délices de Léa, fondée pour « trouver une occupation à une personne handicapée qui, comme n’importe qui, ne s’épanouit pas dans la passivité », synthétise son père.
Léa propose des plats à emporter ou du service traiteur pour des groupes ou encore lors d’événements de particuliers ou de collectivités et associations. Mais elle ne se contente pas de cuisinier, elle apprend. À convertir, à compter, et à comprendre le second degré quand un habitué s’amuse à se tromper dans l’addition qu’elle est chargée de calculer avec les clients.
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Léa s’épanouit tant qu’elle embarque tout le monde avec elle : les chefs de l’association Chefs en Nord, qui l’ont intronisée et l’emmènent régulièrement sur des événements, comme au Salon de l’agriculture il y a deux et trois ans, ou qui concoctent avec elle et pour elle des déjeuners caritatifs (lire aussi en page ci-contre). La jeune cuisinière est aussi membre des Disciples d’Escoffier, « confrérie mondialement connue », s’enorgueillit le papa gâteau.
Et comme l’inclusion n’a de sens que si elle inclut, les portes de l’atelier de Léa s’ouvrent régulièrement à d’autres personnes handicapées ou à des jeunes en décrochage scolaire. « D’une petite idée nous avons bâti tout un univers, et pas seulement pour Léa », résume joliment Christophe Leclercq, qui précise que les chefs Alexandre Gauthier et Tony Lestienne sont parrains de l’association.
Dernier exploit en date : la flamme olympique, que Léa a portée sur 200 mètres le 17 juillet dernier à Château-Thierry. Quelques petits pas de plus pour cette géante. Vraiment pas mal, pour une enfant qui ne marchera jamais.
En savoir plus sur l’association Les Délices de Léa
Justine Demade Pellorce