Votre météo par ville
Christophe Leclercq est le père de Léa, 27 ans, atteinte du syndrome de PACS1 (lire aussi en page ci-contre). Enfin, tout ça n’est officiel que depuis deux ans (le diagnostic, pas la paternité) mais une chose est sûre : « Quand vous parlez avec des parents d’enfants handicapés, la phrase qui revient le plus souvent c’est “pour l’instant ça va, mais après nous ?” », a-t-il eu le temps d’observer.
Le combat de tous les jours pour aider son enfant à grandir, à progresser toujours et à vivre au mieux la vie qui est la sienne, ça va. « Mais imaginer que tout ça s’effondre après nous, que notre enfant ne fasse que régresser après notre départ, ça c’est insupportable. » Voilà le point de départ du projet qui occupe cette infatigable famille depuis quelque temps maintenant, qui s’évertue à lui créer une activité professionnelle : créer des logements inclusifs en milieu rural. Pour ça, Christophe Leclercq a listé les besoins et les difficultés ; rencontré, discuté et visité des projets ici et là ; trouvé un terrain, un bailleur social qui est prêt à s’engager aussi et fait dessiner les plans.
Pour l’ambitieux projet de logements inclusifs, d’autres financements sont espérés, et attendus, tels que ceux de l’Europe, l’État, la Région et le Département – ce dernier déjà bien présent aux côtés de l’association – mais aussi des fondations d’entreprises ou fonds de dotations.
Première étape, le terrain, déniché à quelques kilomètres de la maison familiale, à Seninghem l’une des dernières communes de l’Audomarois. « Une parcelle d’1,3 hectare est à vendre dont 8 000 m2 ont été réservés par un promoteur : l’idée est que nous occupions les 5 300 m3 sur le côté », détaille le père de famille.
Là, un projet en six points (on vous a dit que tout était millimétré) doublement inclusif qui comprend des logements donc : cinq pour des personnes en situation de handicap et cinq pour des seniors. « Souvent, quand une personne handicapée a la chance d’avoir son travail accompagné d’un logement, elle perd sa résidence lorsque sonne l’heure de la retraite et se retrouve alors en Ehpad ou en foyer de vie sans autre solution », fait savoir le père de Léa, qui souhaite mettre toutes les chances de son côté pour offrir le plus bel et long avenir possible à sa fille et aux autres.
Ainsi, les résidants entrés comme « locataires handicapés » pourront continuer à vivre là une fois le statut de seniors atteint. Quand on mesure combien les repères sont difficiles à créer, on comprend l’importance de cette continuité. Les logements, adaptés, seront aussi abordables grâce à la participation d’un bailleur social. La foncière Chênelet se définit comme « un monteur de projet sociétal autour du logement social » et financera la construction de dix logements adaptés, de plain-pied et de haute valeur environnementale afin qu’on y vive mieux et que les charges, de chauffage notamment, soient les plus basses possible. Ensuite, le bailleur les mettra à la location avec des loyers établis en fonction des revenus.
Un aspect sur la vie sociale puisque sur le principe d’un tiers lieu, une salle commune permettra d’accueillir les repas collectifs ou individuels, mais aussi les activités, veillées et, histoire de faire venir le monde extérieur, des séminaires ou réunions d’entreprises ou de collectivités. « Je l’imagine comme une membrane poreuse », formule Christophe Leclercq, qui « protège et est ouverte à la fois. » L’emploi n’est pas oublié de la feuille de route puisqu’un restaurant d’application de 30 couverts offrira des emplois adaptés et sera ouvert aux résidants à tarif préférentiel, mais aussi et surtout au public extérieur.
Visant à assurer une autonomie pérenne des personnes handicapées, le projet vise également à lutter contre l’isolement des seniors. Des jardins partagés pour s’occuper du potager ou simplement profiter de la vue, et des cheminements piétonniers formeront le décor. Pour tout ça, un objectif : un fonctionnement en gouvernance partagée afin d’assurer la pérennité. Une SCIC, pour société coopérative d’intérêt collectif, sera créée une fois le projet monté par l’association Les délices de Léa. « Ensuite, nous en ferons don à la commune qui s’engage, avec la communauté de communes du Pays de Lumbres, et en partenariat avec l’association nationale Familles rurales, à le pérenniser », précise Christophe Leclercq, qui voit là le seul moyen d’assurer définitivement le fameux après.
Tout est calé. Ne manque plus « que » le financement chiffré, en juillet 2023 à 1,2 million d’euros.
Par son engagement avec l’aide des 170 bénévoles, il a créé le Trail évasion en Pays de Lumbres : « Une course avec et pour des enfants extraordinaires », formule-t-il. De 200 participants et 400 euros de bénéfices lors de la première édition en 2009, l’événement annuel est passé à plus de 2 500 coureurs sur la ligne de départ et 22 000 euros de bénéfices reversés lors de la dernière édition. « Ce qui porte à 160 000 euros le cumul des bénéfices engrangés pour l’association », comptabilise-t-il, dont ceux des deux dernières années – 43 000 euros – bloqués pour le projet. En tout, 27 projets ont déjà été accompagnés par les bénéfices tirés des kilomètres avalés depuis 15 ans.
Aujourd’hui, six aspirants locataires ont fait connaître leur volonté de s’installer dans le futur hameau – 3 pour chaque catégorie de logement – ce qui démontre la pertinence d’un projet que son architecte en chef ambitionne de voir décliné sur d’autres territoires. « J’aimerais que ce projet soit une base d’étude et qu’il puisse être reproduit », n’arrête-t-il décidément jamais de se projeter.
Justine Demade Pellorce