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Face à la fenêtre, des champs qui grimpent en colline tels une vague. Une vue époustouflante qui met aussi les agriculteurs face à la réalité. « Quand la culture n’est pas au top, comme le colza cette année, on doit y faire face au quotidien. » C’est Antoine Bouin qui explique, et ça doit être pareil pour Eric et Chantal. Ses parents, avec qui il est associé au sein de l’EARL du Nortbert, à Mentque-Norbecourt, dans le Pas-de-Calais, habitent la maison juste à côté. « La leur offre une vue plus directe sur les vignes », précise le trentenaire. Car des vignes ont été plantées sur trois hectares. C’était en 2021.
Sur 165 hectares, la famille cultive blé, orge, maïs, lin, betteraves. Du colza et du tournesol qu’elle transforme en huile sur la ferme depuis 16 ans, ainsi que quelques prairies. Jusqu’en 2021, 45 vaches laitières permettaient de recevoir, chaque mois, « le chèque du lait : 11 000 euros », explique Antoine Bouin. Il détaille combien, « arrêter le lait », c’est changer complètement son rythme (pas en termes de grasses matinées, les parents comme le fiston gérant chacun un gîte ou une chambre d’hôte sur leur terrain) et sa gestion de trésorerie. Fini le chèque mensuel, il faudra attendre cinq à six ans pour récolter les fruits du changement. Pas littéralement. Les premières vendanges ont eu lieu en septembre 2023, mais pour le porte-monnaie : les premières bouteilles seront prêtes pour l’été 2025. Selon la qualité du vin blanc pétillant obtenu, elles seront immédiatement commercialisées ou attendront le millésime suivant.
Mais pourquoi donc les Bouin sont-ils passés du lait au vin ? « Les bâtiments étaient vétustes, la salle de traite âgée de 20 ans. La question se posait de reconstruire, en délocalisant. Car nous n’avions pas assez de place, ou d’arrêter », résume le jeune agriculteur. L’idée des vignes trottait depuis un moment dans les têtes, c’était l’occasion. Les vaches laitières ont été vendues, remplacées par des vaches à viande. Trois premiers hectares de vignes ont été plantés en avril 2021. Un quatrième suivra, « dans les trois ans maximum, c’est la règle ».
Antoine Bouin met le doigt sur l’extrême réglementation qui entoure la culture de vignes. Le droit à planter des vignes en dehors des zones d’appellation n’existe que depuis 2017. Pour chaque hectare planté, il faut une autorisation des douanes et de FranceAgriMer, autorisation qui, si elle est accordée (en fonction du nombre d’implantations aux alentours notamment), doit être suivie d’effets : si les hectares ne sont pas réellement plantés, c’est l’amende. « En Belgique, ils ont 15 ans d’avance par rapport à ces autorisations. Ici, tout peut se refermer du jour au lendemain », pose celui qui n’a jamais douté de son envie de rejoindre ses parents à la ferme.
Après un BTS (brevet de technicien supérieur) en gestion agricole à l’institut d’Hazebrouck, puis une licence en mécanique – « des belles années » – il rejoint ses parents sur l’exploitation. Un parcours linéaire qui n’empêche pas, on le voit, les innovations. La famille Bouin fait désormais partie des pionniers de la vigne sur le territoire. Pas pour autant que cette idée folle soit irraisonnée : bien au contraire la stratégie est strictement réfléchie.
Le Mentquois-Nortbécourtois ou ses parents ont-ils suivi une formation pour cette petite révolution ? « Non, nous apprenons de notre côté, allons chercher les réponses et sommes bien accompagnés », explique le jeune homme à la tête solidement fixée sur les épaules. Ainsi le pépiniériste bourguignon a-t-il conseillé les bons porte-greffes et les bons cépages (chardonnay blanc, pinot noir et pinot meunier) en fonction des terres ; le vendeur de piquets – pas moins de 1 000 par hectare de vignes plantées – leur a-t-il dispensé ses conseils quant à leur implantation, et l’œnologue, qui suit tout ça, a-t-il établi avec la famille un plan d’attaque réaliste.
Parce que vu les investissements de départ – 30 000 € par hectare pour les plants et les piquets, sans compter la main-d’œuvre ni les phytos (qui seront utilisés ici sur les feuilles, le désherbage étant, lui, mécanique grâce à une bineuse intercep gérée par une Cuma et partagée par plusieurs néo-vignerons du Nord-Pas de Calais) -, il ne s’agit pas de se louper.
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« Nous allons commencer en méthode traditionnelle, c’est-à-dire avec levures et sulfites. Nous verrons pour faire évoluer tout ça quand nous serons rodés », détaille Antoine. Il précise encore : « Nous ferons d’abord un vin blanc. Et pourquoi pas dans 20 ans, quand la vigne aura pris du caractère, du rouge », s’autorise-t-il à imaginer. Pour l’instant du blanc donc, en commençant par du vin effervescent, ou pétillant, qui supporte un taux de sucre plus bas que le blanc classique aussi dit “tranquille” (10 % contre 11,5 à 12 %).
Sur la culture, Antoine Bouin ne s’inquiète pas trop. Mais après le raisin vient le vin. Une autre histoire que la famille a choisi d’écrire elle-même, dans sa philosophie de valorisation de ses productions. 5 500 kg de raisin ont été récoltés fin septembre à l’occasion des premières vendanges sur un premier hectare de vignes. Deux jours de travail pour les 14 néo-vendangeurs accompagnés des amis et de la famille, novices eux aussi. Avec ça, 36 hectolitres ont été obtenus après pressage dans un pressoir pneumatique flambant neuf, venu intégrer un chai pas moins flambant équipé de grandes cuves en inox où le jus de raisin a été mis en fermentation.
Au printemps 2025, on pourra faire sauter les bouchons de cette première cuvée d’un vin blanc made in Pas-de-Calais, au Vignoble du Nortbert. Reste à s’équiper ou à trouver un prestataire pour la partie “prise de mousse”, non des moindres. Compliqué, mais pas impossible : c’est la démonstration en cours.
Justine Demade Pellorce