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Quand Didier Findinier parle de son enfance, il relate un quotidien fait d’ombre et de lumière. « Il n’y avait pas beaucoup d’amour à la maison. On était dans la survie. Mais on avait beaucoup de liberté ! », confie-t-il. C’est cette liberté qui l’a façonné, faisant de lui un esprit rêveur et indépendant, toujours en quête d’un idéal.
À 65 ans, ce passionné de blés anciens et de pains paysans est aujourd’hui une figure incontournable de l’agriculture bio dans le Nord et le Pas-de-Calais. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que son chemin est loin d’être conventionnel ! « Je n’ai jamais été un suiveur. Plutôt un visionnaire. Je rêvais d’un idéal en permanence, et encore aujourd’hui », raconte-t-il avec le sourire.
Tout commence par un choix presque évident à l’adolescence. « En 4e, je ne savais pas quoi faire. Donc je me suis dit que j’allais reprendre la ferme des parents. C’était dans la logique des choses à l’époque. » À 21 ans, après une formation au lycée agricole de Tilloy-lès-Mofflaines (62), il reprend seul les 25 hectares de l’exploitation familiale en polyculture élevage. Mais rapidement, il se heurte à la dureté du métier de paysan. « Je me suis vite retrouvé seul, et au début, je ne voulais pas moderniser », admet-il. Tandis que les autres exploitants autour de lui investissent dans du matériel et se tournent vers des techniques plus intensives, Didier Findinier garde son cap. « Je voyais tout le monde autour de moi faire des plans de développement et mécaniser leur exploitation. Moi, je voulais garder ma liberté. »
En 1985, lorsqu’il assiste par hasard à une réunion sur l’agriculture biologique à Bezinghem (62), sa vision de l’agriculture change radicalement. « Cette réunion a été une révélation », se souvient-il. Il décide de convertir son exploitation en bio deux ans plus tard, un choix audacieux à une époque où la démarche est encore marginale, voire moquée. Mais Didier Findinier ne renonce pas. Très vite, sa ferme devient une vitrine de l’agriculture biologique, au point même d’accueillir l’ancien ministre Philippe Vasseur : « Il est venu chez moi incognito à l’époque où il était ministre de Chirac. Et je pense que je l’ai pas mal influencé dans sa vision de l’agriculture ! », raconte-t-il avec un brin de fierté.
Un autre tournant a lieu en 2009, alors qu’il lit un article sur les variétés de blés anciens. Intrigué, il commence à s’intéresser à ces blés cultivés avant l’introduction des variétés modernes ; des blés réputés pour leur rusticité et leur diversité génétique. Il suit notamment de près le combat de l’activiste indienne Vandana Shiva contre la firme multinationale Monsanto. « J’ai réalisé à cette époque une chose essentielle : quand tu as le pouvoir sur la semence, tu as le pouvoir sur l’ensemble de la chaîne alimentaire. »
Pendant plusieurs mois, il questionne les anciens de son secteur, et recueille leurs souvenirs sur ces variétés d’autrefois, telles que la Rouge d’Alsace ou la Golden Drop. « Les anciens me racontaient qu’ils multipliaient eux-mêmes leurs semences. Et que les blés qu’ils cultivaient dans les années 50 étaient très hauts comparés à ceux qu’on cultive aujourd’hui », se rappelle-t-il.
Peu après, il découvre que l‘Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) de Clermont-Ferrand détient un stock de 1 800 variétés de blés oubliés. Il les contacte, et à sa grande surprise, l’institut lui envoie plusieurs de ces variétés gratuitement, à condition de ne pas les revendre. C’est alors que sa mission prend une nouvelle dimension : redonner vie à ces blés, les cultiver, les multiplier, et en faire le socle d’une agriculture qui respecte la terre et ses paysans.
Cette quête le mène bien au-delà de sa ferme. Il se forme à l’agroécologie, réintègre l’arbre dans son exploitation en adoptant des pratiques d’agroforesterie, et part même au Burkina Faso pour rencontrer des paysans adeptes des techniques de Pierre Rabhi. Là-bas, il renforce sa conviction qu’il est urgent de redonner aux paysans leur autonomie. « Et ça commence par ne pas être dépendant des semenciers ! »
Fort de cette conviction, il fonde en 2012 l’Adearn (association pour le développement de l’emploi agricole et rural) avec pour ambition de créer une filière régionale de production de blés anciens biologiques. Le défi est osé, mais Didier Findinier n’est pas seul. Rapidement, il rallie d’autres agriculteurs autour de son projet et se tourne vers la coopérative normande Biocer pour transformer ces blés en « farines de blé paysan ». Le partenariat entre l’association et Biocer voit le jour en 2017. Puis en 2019, l’Adearn prend une autre dimension en fusionnant avec d’autres structures pour devenir Initiatives Paysannes (lire aussi en page 13).
Depuis, les blés anciens de Didier Findinier et d’une dizaine de paysans du Nord-Pas de Calais sont collectés par Biocer. La coopérative les transforme en farine grâce à ses moulins à meules de pierre, garantissant une farine de qualité aux artisans boulangers spécialisés dans la panification traditionnelle (souvent au levain). Car bien qu’ils aient des rendements plus faibles que les variétés modernes (35 à 40 quintaux l’hectare, contre plus de 70 pour des variétés “modernes”) et soient plus sensibles à la verse, selon Didier Findinier, « les blés anciens offrent une richesse nutritionnelle et une complexité aromatique inégalées ».
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Julien Caron