Votre météo par ville
Coralie et sa famille ont obtenu les clés de leurs nouvelle maison en juillet. Et depuis, leur logement a été touché trois fois par les inondations… « Quand Antoine m’a proposé de visiter la maison, j’ai d’abord eu peur. » Coralie Marquis, 32 ans, est née à Blendecques (62). Elle y a grandi aussi et se souvient de la maison de sa marraine, noyée sous 1,80 m d’eau. C’était en 2002, l’inondation de référence pour beaucoup dans la région. « Mais même cette fois-là, l’eau n’était pas arrivée jusqu’ici », rembobine la jeune mère de famille.
Une bâtisse qui n’avait jamais eu les pieds dans l’eau en 200 ans, classée en zone de très faible risque d’inondation dans un secteur sensible mais désormais aménagé de bassins de rétention et de bras de sécurité : Coralie est rassurée et dessine son rêve de foyer au début de la rue Salengro.
Avec Antoine Tartare, son fiancé, elle tient en main les clefs de son avenir le 1er juillet, leur fille a moins d’un an. Débute un vaste chantier : « Tout était à refaire ou presque, de la toiture aux murs en passant par l’électricité ou l’isolation. » La maison a été achetée 96 000 euros et les travaux – 60 000 euros – durent plusieurs mois durant lesquels la famille continue d’habiter sa location. L’emménagement est programmé pour la fin novembre.
Tout début novembre, le premier étage est terminé et les premières affaires stockées. Trois jours plus tard, l’eau monte une première fois. « Nous sommes le 6 novembre et l’eau monte de 30 cm, inondant le hangar et le jardin. Elle arrive à la porte mais n’entre pas dans la maison », et comme « les gens de la mairie » la rassurent sur le caractère exceptionnel de la crue, la famille continue à avancer.
« Quelques jours avant le 11 novembre, nous recevons la cuisine créée sur mesure, tout l’électroménager, les meubles du rez-de-chaussée », liste Coralie. Et ce 11 novembre, c’est la deuxième crue de l’Aa à Blendecques : l’eau monte à 1,10 m cette fois dans la maison, tout est fichu.
Ce n’est pourtant pas faute d’avoir vu l’eau dangereusement approcher du bord du bras de sécurité qui passe devant la maison, d’avoir rappliqué en urgence, patron et collègues d’Antoine en tête au volant d’un camion chargé de palettes. « Ils ont monté quelques meubles, surélevé les appareils sur huit palettes, soit un mètre de hauteur », raconte la jeune femme alors en début de sa deuxième grossesse. Elle, était « à la maison, avec la petite, en train de déballer les affaires » et se retrouve chez ses beaux-parents, à Helfaut à quelques kilomètres de là, à se relayer avec son fiancé pour aller voir la maison, toutes les heures. « Les pompiers nous avaient demandé d’ouvrir le portail car les deux rivières (l’Aa et le bras de sécurité) allaient se rencontrer chez nous. »
Quand ils peuvent enfin aller jauger les dégâts après 48 heures, le doute n’est pas permis longtemps : la baie vitrée est grand ouverte, le système de fermeture a été arraché par la force de l’eau montée jusqu’aux châssis des fenêtres. « Et d’une telle puissance que les tours de palettes ont été renversées : tout est à l’eau. Il y avait plein de boue. Et cette odeur ! »
Coralie Marquis se dit « inconsolable » depuis ce deuxième épisode. Elle raconte comment sa fille, âgée de 18 mois, « ne fait plus ses nuits depuis », comment la petite « facile à vivre » est devenue « grincheuse ». En souffrance, pense celle qui se sent incomprise par les « vous êtes vivants », « ce n’est que du matériel » qu’on oppose à sa détresse.
La culpabilité d’abord, d’avoir fait le mauvais achat. Le sentiment de trahison aussi, parce que tout le monde lui disait qu’elle ne risquait rien. Enfin, celui d’abandon. « Ce n’est pas seulement matériel, c’est dur psychologiquement », prévient celle qui a rejoint l’association tout juste créée Blendecques sinistrés, « par besoin d’être entourée de gens qui vivent ce que je vis ».
Après la première vague d’inondation, la famille veut encore y croire, estimant que « c’est une étape », que « ça fait partie des choses de la vie » et que, surtout, c’est tellement exceptionnel, puisqu’inédit, que ce n’est pas près de se reproduire. « Et nous avons tout racheté, à commencer par le poêle à granules – 5 500 euros -, notre principal moyen de chauffage, afin de mettre la maison en chauffe pour faire sécher les murs », explique Coralie qui précise attendre toujours les retours des assurances et avoir dû avancer chacun des frais engagés.
« On s’est motivés, on a tout nettoyé, démonté tout ce qui était abîmé et racheté les matériaux permettant de refaire les parties des murs endommagés, le placo était à refaire sur 1,50 m de haut. Puis on avait redescendu les meubles. » Tout ça au mois de décembre, en vue d’intégrer enfin cette maison tant promise.
« Et le 4 janvier, l’eau se remet à monter. Antoine était en déplacement professionnel et je vais avec mon beau-père essayer de protéger la maison », relate Coralie Marquis qui surélève de nouveaux des choses et essaie surtout de bloquer la porte vitrée pour qu’elle retienne l’eau au mieux. « Ça a marché à peu près et on a limité la casse mais l’eau est remontée par les canalisations, sur un mètre de haut : une eau encore plus sale, plus boueuse et plus puante. »
La jeune femme s’offusque qu’un nouvel épisode ait pu avoir lieu, estimant qu’en deux mois des choses avaient pu être mises en place et regrettant amèrement que les pompes, installées en novembre, aient été renvoyées si vite, « parce que l’État ne voulait pas payer », croit-elle savoir. « Là ils ont accepté de payer jusqu’au printemps, mais c’est un peu tard », euphémise la propriétaire en colère.
Bilan de la crue de janvier : « On a tout perdu de nouveau, il faut re-refaire les murs et pour ça attendre le troisième passage d’expert. À ajouter à notre travail (Coralie est auxiliaire de vie à domicile, ndlr), aux dossiers à compléter, aux déclarations à faire et aux coups de fil à passer, encore et encore », explique la jeune maman qui avoue que sa grossesse passe au second plan et que le couple subit ce stress quotidien.
Sont-ils d’accord sur la suite ? « C’est difficile », commence Coralie. « On l’aime cette maison et on y avait des rêves. Et si on part, qui nous dit que nous serons à l’abri ailleurs, quand 300 villages ont été impactés. J’ai des amis qui ont été inondés à Serques, à Delettes, Éperlecques ou à Bayenghem-lès-Seninghem ; des cousins à Saint-Omer ou Arques. Elle est où la sécurité ? », lance la jeune femme sans attendre de réponse.
Elle, pense qu’il faudrait lancer « de vrais travaux », et que « les pompes fassent partie de nos villes ». « Il faut qu’ils se bougent, tous autant qu’ils sont. On arrive bien à trouver des millions pour les pays en guerre, on peut bien trouver ce qu’il faut pour s’occuper de nous », tempête Coralie Marquis qui se dit en colère. « Rien ne bouge. Ils ont parlé d’embaucher 300 experts pour faire avancer les dossiers d’assurance et réduire les délais, mais on ne voit toujours rien venir. Ce n’est pas normal de galérer autant. »
Lire aussi : Inondations : à Arras, Christophe Béchu a multiplié les annonces
Lire aussi : Dossier : Retour sur les inondations qui frappent le Nord-Pas-de-Calais
Justine Demade Pellorce