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C’est au Bierbuik de Lille, dans cette première salle toute rose, que nous rencontrons Florent Ladeyn. Il est en retard, « un rendez-vous et j’en ai un autre après ».
À 39 ans, il fait partie de ces chefs qui n’arrêtent jamais, un projet toujours en cours avec toujours une ligne conductrice, et ce depuis maintenant 13 ans : cuisiner local et uniquement local.
Tout commence dès l’enfance, alors qu’il grandit dans les cuisines de l’Auberge du Vert Mont, tenu par ses parents et autrefois par ses grands-parents : « Au départ j’aidais en salle et assez rapidement je suis passé en cuisine. Je connaissais donc les contraintes de ce travail, c’est pour ça que dans un premier temps, après le lycée, je me suis inscrit en école d’art. Ce que je savais c’est que j’avais besoin de faire quelque chose de créatif. »
Après seulement quelques jours de ce cursus, « j’ai compris que ça n’allait pas le faire ! » Trop de théorie, pas assez de concret, pas assez d’actions. Retour donc aux fourneaux, en apprentissage, dans les cuisines de l’adorée auberge et en formation au Cefral de Dunkerque.
À l’hiver 2005, comme souvent, Florent Ladeyn et son père coupent du bois chez l’agriculteur voisin. « On faisait ça car on avait peu de monde l’hiver. » Florent Ladeyn aperçoit une bâche. Dessous, des navets, en train de pourrir. « L’agriculteur m’explique qu’il ne les a pas vendus. Et là, je me suis senti très bête car la veille, j’étais allé à Metro® acheter des navets, tout blanc, tous parfaits mais que j’avais payés… cher ! »
C’est un électrochoc pour Florent Ladeyn qui éprouve alors « un sentiment de culpabilité. C’est littéralement un voisin » ! À partir de là, c’est une évidence, le chef va privilégier le local dans sa cuisine et pourquoi pas même cuisiner exclusivement local ?
En 2010, son père annonce à Florent Ladeyn que quelqu’un souhaite racheter le Vert Mont. « L’idée était qu’avec cet argent, il m’aide à m’installer à Bailleul. Je lui ai demandé de me laisser un an au Vert Mont. Un an pendant lequel il me laissait faire ce que j’avais en tête, c’est-à-dire de la cuisine 100 % locale, 100 % maison. » Là aussi révélation : c’était la bonne idée !
En 2011, Florent Ladeyn obtient le prix de « Jeune talent de l’année » par le Gault & Millau. Et en 2012, il participe au télécrochet de M6, Top chef. Une expérience mais surtout « une tribune ». « On a remis la Flandre sur la carte de la France avec Top chef, puis avec nos restaurants. Et ce n’est pas rien ! »
Une responsabilité aussi. Car depuis qu’il s’est lancé ce défi et que ses restaurants ont ouvert, Florent Ladeyn a dû s’entourer de producteurs qui aujourd’hui, dépendent en partie de lui. « C’est une grande chaîne. Il faut faire attention à chaque maillon ! »
Aujourd’hui, ses restaurants se fournissent auprès d’une petite quinzaine de producteurs, des légumes au fromage en passant par le sel, « depuis peu » grâce au Sel des 2 caps (lire notre édition du 25 novembre 2022). Une petite équipe qui permet de fournir suffisamment de produits pour faire « 1 200 couverts chaque samedi », sourit le chef.
Cuisiner local, ça demande aussi de l’huile de coude parfois car « on n’a pas de plan B si un producteur ne peut pas nous fournir. Avec le changement climatique, c’est quelque chose qui s’est d’ailleurs accentué… » Cela dit, Florent Ladeyn ajoute : « C’est sûr que l’hiver, j’ai moins de choix. Mais quelque part, ça pousse à la créativité. Ça pousse à se poser des questions, trouver des astuces, des techniques, innover. Ça prend du temps », reconnaît-il. « Mais je préfère me poser des questions que d’aller à la facilité. »
Aujourd’hui à la mode, le locavorisme est revendiqué par beaucoup de chefs. Mais pour Florent Ladeyn, il faut se méfier des apparences : « Attention aux gens qui se collent eux-mêmes des étiquettes. Dire qu’on cuisine des produits du terroir ça ne veut rien dire, qu’on cuisine des produits locaux non plus. En pourcentage ça représente quoi ? C’est ça la question qu’il faut poser. »
Et du fait du changement climatique et de l’inflation, le chef entend aussi un autre discours, « des personnes dire “je ne veux pas me priver d’un bon produit sous prétexte qu’il vient de l’autre côté de la planète”. Là on ouvre la boîte de Pandore car tout devient justifiable ». Pour le chef flamand, une chose est sûre, « ce modèle fonctionne. Donc je ne comprends pas qu’on ne soit pas plus à le mettre en place. Je souhaite vraiment que cela se développe. »
Eglantine Puel