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La ferme Duneleet, à Leffrinckoucke, c’est une histoire de longue date. 2018 marque l’arrivée de Stéphanie Vanderhaeghe sur l’exploitation en polyculture, aux côtés d’Hervé et Brigitte, ses parents eux-mêmes arrivés en 1978 à la suite du grand-père qui lui-même…
Une ferme familiale donc, s’étalant sur une centaine d’hectares. Un sol argilo-sableux, c’est que nous sommes ici sur une dune fossile, pour des cultures traditionnelles : betterave, lin, blé, orge, colza, pomme de terre. Une partie était déjà transformée, en huiles ou en farine, quand la dernière génération a amorcé la transition.
Stéphanie, aujourd’hui âgée de 36 ans, est alors diplômée de l’Institut supérieur d’agronomie de Lille (ISA), d’où elle est sortie ingénieure agronome. Pourquoi ce diplôme alors qu’elle a toujours su qu’elle rependrait la ferme ? ” Parce qu’il n’est pas compliqué de cultiver pour celui qui est né dedans, mais que pour défendre ses intérêts face aux élus et autres interlocuteurs aux grands diplômes, c’est mieux d’avoir suivi de grandes études “, prévient le père. Il voit dans cette défense du métier, et de l’agriculture en général, un formidable défi. Un sens du combat dont a hérité la fille unique, plongée depuis toujours dans ” un quotidien compliqué mais passionnant “.
2008, Stéphanie Vanderhaeghe est diplômée de l’ISA et elle part ” continuer à apprendre “. D’abord pour une société de machinisme agricole allemande, Horsche : ” Un paysan qui a commencé à fabriquer ses propres machines pour travailler en semis direct. ” Cette approche du non labour marque une première étape dans la construction mentale de la jeune femme.
Elle intègre ensuite la fédération du négoce agricole (FNA), où elle sera ingénieure réseau Déphy, dans le cadre du plan Ecophyto.
En parallèle, l’ingénieure amorce la transition de la ferme, pas vers l’agriculture biologique car elle refuse de se bloquer alors qu’elle est en pleine expérimentation, mais vers une agriculture de conservation des sols (rotations plus longues, alternance de cultures de printemps et de cultures d’automne, couverts longs…) couplée à de nouvelles cultures.
Finis la betterave et le lin. Place au quinoa, aux lentilles, à la caméline, au seigle ou au sarrazin. Certains sont vendus secs, d’autres transformés en farine ou en huiles.
Des nouvelles cultures qu’il faut aussi apprendre à stocker, transformer et commercialiser, en vente directe à la ferme ou dans les magasins de producteurs. Pas rien à une époque où faire tremper des pois chiches avant de les cuisiner apparaît comme une perte de temps.
Une transition qui embarque toute la famille. Il faut dire qu’Hervé et Brigitte n’ont jamais hésité à voyager ” pour aller voir ce qui se faisait ailleurs “. ” Cette passation en douceur, cette possibilité de continuer à apprendre auprès de mes parents est essentielle. On n’apprend pas tout à l’école “, constate la jeune maman.
Parmi les plus gros défis pour celle qui s’installe sur la ferme en 2018, la pression foncière : ” J‘ai connu dans ma jeunesse le risque d’expropriation, j’ai vu mes parents dire non à la vente, résister. Se battre pour modifier le plan local d’urbanisme (PLU), dire ” Nous voulons rester agriculteurs. ” Je suis redevable de tout ça aujourd’hui. ”
À ses côtés, comme toujours, son père appuie : ” On aurait pu tout vendre et aller voir ailleurs, mais ailleurs aussi il y a des problèmes. ” Un état d’esprit pragmatico-combatif qui marque les engagements de la jeune femme en dehors de la ferme aussi.
Un temps conseillère municipale dans la commune littorale où ils résident, elle a aussi pris la présidence de l’association Trésors de Flandre il y a trois ans.
Une association fondée il y a une vingtaine d’années avec l’idée de promouvoir la Flandre à travers son terroir, en fédérant producteurs et artisans. Une vingtaine d’entre eux se rassemble aujourd’hui autour de cette envie : des boulangers, producteurs de glace, agriculteurs, brasseurs, ébénistes. Chaque année, des portes ouvertes sont organisées chez l’un des adhérents avec animations, marché fermier, repas préparé avec les productions des membres de l’association.
” Une façon d’inviter à venir voir ce qu’il se passe dans nos fermes, nos ateliers. De montrer et expliquer comment on travaille “, explique la présidente. Le prochain rendez-vous est déjà fixé : ce sera le dimanche 28 mai à la ferme Ronckier, à Killem, spécialisée dans la transformation de son lait de vaches Montbéliardes en glaces, yaourts et autres fromages.
Son mandat de présidente vient de s’achever, mais Stéphanie n’a pas encore passé la main, faute de candidat. Elle pense pourtant avoir fait sa part et aimerait que d’autres s’y collent.
Elle regrette que “ notre société individualiste ne favorise pas la notion d’engagement “.
Un constat pour elle : “ Il faut plus de monde dans ce milieu. Les fermes sont de plus en plus grandes, de plus en plus mécanisées et il y a de moins en moins de monde. Il y a une érosion dans le milieu agricole et ça finit par toujours retomber sur les mêmes “, dénonce la nordiste. Pour elle, ” ce qui manque aujourd’hui ce ne sont pas les subventions pour acheter du matériel mais plutôt des aides à l’embauche. Et redonner le goût du travail de la terre. “
2008 : diplômée de l’Institut supérieur d’agronomie (ISA) de Lille
2013 : ingénieure réseau Déphy pour la fédération du négoce agricole (FNA)
2018 : installation sur la ferme Duneleet à Leffrinckoucke
2020 : présidente de l’association Trésors de Flandre.
Justine Demade Pellorce
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