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L’Avesnois, ses vertes prairies et… ses vaches kiwis ! Aussi surprenant que cela soit, les pâtures de la ferme d’Estelle et Ludovic Merlant en regorgent. 208 en tout, qui passent le plus clair de leur temps en pâture, sont nourries uniquement à l’herbe, et ne sont traites qu’une fois par jour, le matin, pour alimenter la laiterie Lactalis de Petit-Fayt (59). Alors que le système classique prévoit des traites matin et soir.
Car autour de cette petite vache rustique taillée pour les prairies plus que pour l’étable, c’est tout leur système que ce couple d’éleveurs – par ailleurs parents de quatre enfants – ont remis en cause. Tout miser sur l’herbe, abandonner les achats de soja, la production de maïs ensilage et réduire leur consommation de gasoil : c’est leur système actuel. Mais il n’en a pas toujours été ainsi.
Associés au sein du Gaec de la Fenache, à Dompierre-sur- Helpe (59) dans l’Avesnois, Estelle et Ludovic Merlant reprennent la ferme des parents de ce dernier en 2011, qui compte alors 160 prim’hosltein (les vaches noires et blanches bien connues de nos paysages). « Jusqu’en 2016-2017, nous sommes restés dans le système classique, dans une logique d’investissement et de croissance, avec en permanence un salarié », confie le couple.
En 2016, arrive la « crise du lait ». Avec la fin des quotas laitiers en Europe, « le prix du lait a fortement chuté, se souvient Estelle Merlant. Nous n’avions plus une qualité de vie qui nous permettait d’être à l’aise par rapport à la quantité de travail fournie. En 2017, nous devions réaménager les bâtiments pour continuer d’accroître le cheptel et faire plus de lait. On s’est posé la question du bio à ce moment-là. Nous avons fait des études comparatives : 140 prim’holstein en bio, ou 180 vaches en conventionnel avec réaménagement. Les deux options ne présentaient pas de grosse différence, mais passer en bio nous permettait de mieux valoriser le lait. » La décision est prise.
En parallèle, son mari Ludovic s’intéresse à la technique du pâturage tournant dynamique, un système venu de Nouvelle-Zélande où l’on découpe les prairies en petites parcelles avec des abreuvoirs où le troupeau reste trois jours au maximum. Le but : lui fournir une herbe avec les meilleures qualités nutritionnelles possibles. Le couple se lance, non sans quelques difficultés. « La première année, on a eu beaucoup de problèmes de fertilité et de boiteries avec nos vaches », se souvient Estelle Merlant. Pour des holstein habituées aux aliments concentrés, le passage au « tout herbe » est synonyme de déficit énergétique.
Le couple se fait alors suivre en 2018 par PâtureSens, un cabinet spécialisé dans les systèmes herbagers. « En septembre 2019, poursuit l’éleveuse, ils nous ont emmenés au Pays de Galles pour rencontrer des éleveurs en pâturage tournant dynamique depuis une quinzaine d’années, qui appliquent les vêlages groupés de printemps (une technique qui vise à faire vêler tout le troupeau au printemps pour que les vaches bénéficient de l’herbe la plus riche au début de leur lactation, ndlr). Mais pour cela, il faut une race qui ait une fertilité hors de la moyenne, c’est le cas des kiwis. »
Issue d’un croisement entre la jersiaise et la frisonne pie-noir, la kiwi est une petite vache robuste et productive. Moins que la holstein certes, mais plus adaptée à la vie en prairie. Elle représente la moitié du cheptel en Nouvelle-Zélande, grand pays producteur de lait.
Après les avoir vues au Pays de Galles, la décision des Merlant est vite prise. « Deux mois après, en novembre 2019, nous avons reçu notre premier lot de génisses kiwis prêtes à vêler, raconte Estelle Merlant. Elles ont un caractère un peu trempé, mais sont très curieuses et assez dociles. En juillet 2020, nous en avons acheté un second lot de 90 veaux de trois mois. » En parallèle, ils revendent progressivement leurs prim’holstein.
La kiwi produisant moins de lait, il faut un cheptel plus grand : le troupeau du Gaec compte aujourd’hui 208 kiwis. « Il a fallu aménager les box, rétrécir la contention en salle de traite… Car la kiwi, c’est une demi holstein ! »
Si le Gaec a pu se permettre de passer d’un système de production de lait classique, avec du maïs dans la ration, à un modèle basé sur l’herbe, c’est grâce à une particularité importante : « Nos parcelles sont regroupées autour de notre ferme. Nous avons aussi de bons voisins, avec qui nous avons pu échanger des parcelles pour agrandir le bloc autour de la ferme. » Une condition sine qua non du pâturage tournant dynamique.
Bien qu’ils produisent un peu moins de lait désormais, les Merlant ne reviendraient pas en arrière. Depuis cette année, ils ne traient plus qu’une fois par jour, uniquement le matin. Avec les vêlages de printemps, ils ferment également leur salle de traite deux mois l’hiver. « Les vaches sont en pâture tout le temps, de février-mars après les vêlages jusqu’en novembre-décembre, moment auquel nous fermons la salle de traite. Nous avons alors deux mois au calme en hiver, où on peut être plus avec les enfants. » Un luxe pour ces éleveurs qui ont connu les semaines à 70 heures.
« Et puis, conclut Estelle Merlant, nous sommes devenus maîtres de notre outil : plus besoin d’intrants. On ne dépend pas du cours du soja, très peu du prix du carburant, nos investissements sont très limités… Tout ce que nous pourrions faire pour valoriser encore mieux nos pâtures, c’est d’augmenter encore un peu la taille de notre cheptel. »
Lucie de Gusseme
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