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Bilal Bellasri, c’est un jeune homme au geste sûr. Longue silhouette, chignon et barbe. C’est un jeune homme, féru de sciences et qui, luxe que lui accorde son employeur, a eu le temps d’apprendre à faire. « Et à faire bien », appuie le jeune fromager.
Dans un laboratoire de l’incubateur d’Euralimentaire à Lomme (l’ex-Min), Bilal et son collègue Sergueï Abdou Rabi s’affairent depuis 6 heures du matin. Comme chaque jour, ils vont transformer les 1 000 litres de lait livrés par un producteur voisin, d’Ennetières-en-Weppes (59), en 120 kg de mozzarella et 20 kg de ricotta.
Un rendement faible, c’est toujours comme ça pour la mozzarella. Ça s’accentue quand on travaille de manière artisanale. C’est qu’ici, les chiffres comptent moins que les principes. Et, comme pour les pâtons servant à confectionner les pizzas servies dans les huit établissements de la « multilocale » d’Annunzio, la mozzarella suit désormais ce processus de fabrication patiente.
Retour dans les années 90 : Gilberto d’Annunzio et sa sœur, Lorena, ouvrent leur première épicerie fine de produits italiens dans le Vieux-Lille. Puis une « toute petite pizzeria de six couverts », raconte le patron qui apprend sur le tas. Et finit par apprendre, et pour ça comprendre, en se frottant à l’un de ses amis, Alex Croquet. « J’ai appris l’importance de l’eau et de la réhydratation. J’ai surtout compris l’importance du temps », remonte Gilberto d’Annunzio.
Ce rapport au temps, on le retrouve dans le dernier projet en date : la confection de mozzarella 100 % Hauts-De-France. Entre-temps, le chef de la squadra (équipe en italien, ndlr) d’Annunzio a multiplié ses adresses et possède aujourd’hui huit restaurants, une cave et une épicerie fine à Lille et environs.
« Il y a quatre ans, j’ai voulu produire une pizza sans intrants. J’avais changé de fournisseur pour mes farines – c’est un meunier biologique des Marches italiennes qui fournit désormais le mélange de farine blanche (pour l’élasticité) et de farine de meule de blé ancien, sarrasin et épeautre qui permettent de faire baisser le taux de gluten de 13 % à 9 % », retrace-t-il.
Plus digeste pour les consommateurs, son parti pris est aussi un non-sens pour la fabrication de pâte à pizza. « Mes gars m’ont détesté », lance le patron. Une nouvelle pâte plus difficile à travailler, certes, mais aux qualités gustatives et nutritives sans pareil.
Rapidement s’est posée la question de la mozzarella. Car le processus de fabrication industrielle prévoit l’adjonction d’acide citrique pour accélérer le processus d’acidification du lait. Ici, on a choisi de passer par les ferments lactiques, ce qui prend six à huit fois plus de temps. Mais vous commencez à comprendre que le temps, ici…
C’est là qu’intervient Bilal, jeune lillois féru de sciences. Après une prépa de deux ans en physique/chimie, celui qui « veut faire des sciences toute sa vie » intègre une école d’ingénieur. « Trop de commerce, pas assez de sciences : ça ne me plaisait pas, j’ai alors commencé une licence en mathématiques. » Le covid frappe et Bilal décroche. Il cherche un petit boulot, pour se donner le temps de trouver sa voie. Et entre par hasard dans le laboratoire de La Bottega à l’été 2020. D’abord aux desserts, puis aux pâtons, enfin aux pâtes fraiches. À la fin de l’été, Enzo, le fils de Gilberto qui a pris en main le lancement de la production de mozzarella locale, a besoin d’un second : ce sera Bilal.
« Nous avons eu beaucoup de libertés, l’opportunité de bien faire et d’apprendre, doucement sur le tas », salue le jeune homme qui n’avait, jusque-là, expérimenté qu’un job saisonnier dans le bâtiment. Le jeune fromager n’en délaisse pas moins les sciences qu’il aime toujours autant étudier, à côté. L’astronomie et la physique quantique le passionnent avec un dénominateur commun : le goût de découvrir.
Une envie partagée par son patron qui envisage le déménagement de la fromagerie dans l’Avesnois. « Probablement d’ici deux ans », se réjouit tranquillement le responsable mozza. Une implantation qui permettrait de resserrer le réseau des fournisseurs en se rapprochant des producteurs de lait, bio tant qu’à faire, mais aussi des champs de blé pour la farine, des caves d’affinage histoire de transformer la mozzarella en scarmoza, sans oublier les vignes, qu’on ne s’interdit pas d’envisager de travailler aussi.
Un déménagement qui permettrait aussi de valoriser, enfin, les centaines de litres de petit-lait qui ne peuvent l’être dans la configuration actuelle pour l’alimentation animale ou comme engrais sur les champs. « Ils pourraient également alimenter une unité de méthanisation nous permettant de faire tourner la fromagerie », imagine encore Bilal qui envisage « une communauté autonome ou presque, où on pourrait faire les choses bien. » Un critère essentiel pour celui qui a été élevé dans l’importance des bonnes choses. Et qui se nourrit aussi de ce plaisir à l’idée que, « chaque jour, peut-être cent personnes apprécieront les pizzas confectionnées grâce à mon travail ». Outre les restaurants de Gilberto d’Annunzio et l’épicerie, la mozzarella est livrée dans quelques restaurants lillois et disponible dans les magasins Prise directe.
Justine Demade Pellorce
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