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L’idée vient de Boris Tavernier, fondateur de l’association lyonnaise Vrac, qui rayonne aujourd’hui sur toute la France. Il réussit l’exploit de donner accès aux personnes pauvres à des produits bio, sains et locaux. Le tout aux prix fixés par le producteur, sans rien négocier. Pour lui, la dignité de l’alimentation des personnes pauvres est basée sur celle du producteur, il ne discute donc pas le prix. L’association permet à des gens qui n’ont pas de moyens d’acheter les mêmes produits que les autres. Il est étonnamment l’un des seuls à avoir eu cette idée.
Nous avons une façon d’aider les pauvres qui n’est pas la bonne. On croit que l’aide alimentaire, ce sont les Restos du Cœur et les collectes au supermarché. Mais c’est en réalité un rouage méconnu de l’économie, à travers lequel le secteur agroalimentaire français recycle ses surplus et ses invendus. La pauvreté valorise des produits qui seraient autrement considérés comme des rebuts. Pauvres et méthaniseurs, même combat ! C’est une forme de charité assez immorale.
Oui. Il y a d’abord l’aspect psychologique. Dans un pays comme la France où le bien manger est si important, on est ce que l’on mange. Donc, si on me donne des déchets à manger, c’est que j’en suis un moi-même… C’est important de l’avoir en tête.
Et il y a l’aspect nutritionnel. Un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), rendu public en 2020, note que dans les dons, les protéines animales sont surreprésentées, de même que les acides gras et les sucres libres. Il est étrange de constater que quand il s’agit d’aider les pauvres, on leur donne des choses qu’on n’achèterait pas pour nous. Or, quelqu’un qui mange mal finit par être un bon candidat au diabète, à l’obésité, et aux formes graves de la Covid-19. C’est peu sorti dans la presse, mais si le Covid fait autant de ravages en France, c’est moins lié à la vieillesse qu’à l’obésité. Dire que ça touche les personnes âgées, c’est facile. On se doute qu’ils sont plus fragiles que les autres. Dire que ça touche les gens qui mangent mal, cela remet en cause tout le système de l’aide alimentaire, car cela touche à la question de la pauvreté.
600 millions d’euros sont injectés chaque année dans le système d’aide alimentaire. Environ 360 millions proviennent des défiscalisations accordées aux dons alimentaires. La loi oblige désormais supermarchés, groupes de restauration collective privés et industriels de l’agroalimentaire depuis fin 2020 à “recycler” leurs invendus ou à en faire don aux associations d’aide alimentaire. Or ces dons sont défiscalisés à hauteur de 60 %. La grande distribution achète donc à moindre prix aux producteurs, et en cas d’invendu envoie ses rebuts aux pauvres. Ces derniers sont absolument déconsidérés, mais sans eux le système fonctionnerait moins bien.
L’idée du livre était de faire un tour de France des initiatives qui contredisent ce système de l’aide alimentaire purement caritatif. L’association Vrac et ses produits sains vendus à prix coûtant, Ma P’tite Échoppe du Secours Catholique d’Antony, qui accueille ses clients dans un décor sobre et élégant, mi-épicerie et mi-lieu de vie…
Les gens qui ont peu de moyens ont juste envie de consommer comme les autres, et de repartir discrètement. Le succès de Boris Tavernier avec Vrac ou de l’épicerie d’Antony, c’est ça. Les gens se sentent considérés. Ni en bien, ni en mal. Vous êtes là pour acheter, vous prenez ce que vous voulez, point final. Comme dans une épicerie classique.
À Soumoulou (64), des gens en ont eu assez d’avoir des colis alimentaires malsains. Ils ont obtenu une surface pour un potager et se sont arrangés avec éleveurs et abattoirs locaux pour compléter la production. À Dunkerque, le Secours Catholique a fondé un potager collectif assorti d’une épicerie sociale et solidaire. Cela permet de toucher des gens qui sont sortis des radars sociaux habituels.
Cela montre que l’intérêt principal du potager n’est pas de se nourrir en autonomie, c’est plus que ça : il resocialise les gens. Toutes les études faites sur les jardins ouvriers le disent : il s’agit avant tout d’un moyen de se rencontrer. L’aspect nourricier arrive après. Le potager donner une meilleure image de soi-même. La pauvreté est sans fond. Elle ruine l’image qu’on a de soi. L’une des meilleures façons de sortir de ça, c’est de faire c’est avec ses mains. Et l’une des meilleures façons de faire avec ses mains c’est le potager.
Oui. Avec ce rapport de l’Igas, l’État a entamé une réflexion nécessaire. Une aide alimentaire plus ciblée sur la qualité que sur la quantité participerait de l’aide au monde agricole. Je pense que l’un des bons moyens ce sont les chèques alimentaires ciblés sur des producteurs locaux, certains primeurs ou épiceries. Mais pas la grande distribution. Cela ne ferait que soutenir le système actuel.
Propos recueillis par Lucie De Gusseme