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« Vous n’allez pas me croire ! » s’esclaffe-t-il quand on lui demande son nom de famille. Le boulanger de Noordpeene (59), le bien nommé Antony Boulanger a depuis cet été poussé plus loin l’image d’Épinal qui lui colle à la peau comme la farine sur son tee-shirt : désormais, il est littéralement au four et au moulin. En plus de concocter des pains et des pâtisseries au lait cru des éleveurs du coin, de faire office d’épicerie et de vendre charcuterie et fromages locaux, il moud désormais sa propre farine.
Tout commence il y a cinq ans, lorsqu’il reprend la boulangerie de la commune. « Je suis tombé amoureux de cette ambiance rurale, raconte-t-il. Ici on connaît les gens. On partage leurs joies, leurs deuils… On vit avec eux. » « Quand Antony est arrivé, on était content d’avoir du pain de qualité, se souvient Cédric Wyart, agriculteur à Noordpeene (59) et l’un des deux fournisseurs en blé du boulanger avec son voisin Didier Vanneuville. Il a le souci du détail. »
L’idée de la farine en circuit « ultracourt », « c’est la rencontre avec les agriculteurs du coin qui me l’a donnée », raconte simplement Antony Boulanger, sous sa casquette bleu ciel. Tout part de sa réflexion sur sa farine. « J’ai toujours choisi des farines à forte teneur en protéines. Avant, j’achetais une farine canadienne, appelée Manitoba. Mais le coût était exorbitant. J’ai aussi pris de l’Apache belge, et du Camp Rémy, mais le taux de protéines n’était pas suffisant. Et puis, il y a cinq ans, j’ai trouvé un blé polonais très protéiné…Avant de me rendre compte qu’à deux pas de chez moi, chez Cédric et Didier, poussait du blé de qualité. »
Après quelques recherches, Antony Boulanger opte pour un moulin autrichien à 7 000 €, qu’il reçoit début juillet. « En meunerie industrielle, le blé est broyé par deux rouleaux en acier qui produisent une chaleur d’une centaine de degrés. Les oligoéléments et le gluten naturellement présents sont brûlés, puis rajoutés artificiellement, sauf dans la farine de tradition. Car le gluten, c’est un agglutinant, un élastique naturel, explique-t-il. Ici, la température ne monte pas à plus de 40 °C, ce qui laisse intacts les oligoéléments et le gluten du blé, plus facile à digérer. »
Une main dans le seau où vient de tomber la farine fraîchement pressée, il ajoute : « Je peux faire une quarantaine de kilos de farine en une petite heure. Celle que j’obtiens ainsi est très grasse : quand elle colle et reste en boule, c’est qu’elle est riche. Pour moi, c’est le top ! Avec une farine classique, vous ne pouvez pas faire ça… Trop peu de boulangeries cherchent à faire un pain différent. Il ne faut pas oublier que le pain, on le crée ! »
Antony Boulanger a donc acheté 17 tonnes de blé : 12 tonnes à Cédric Wyart et cinq à Didier Vanneuville, ses voisins. « Pour être totalement indépendant des meuniers, il me faudrait 140 tonnes de blé à l’année, en comptant les 20 à 30 % de déchets non panifiables. » Il a déjà compté qu’il lui faudrait cinq ans pour arriver à ce résultat, et un autre moulin, plus gros et dix fois plus cher.
Côté producteurs, on vit l’opération avec un mélange de fierté et de militantisme. « Manger une baguette produite avec votre propre blé, c’est incroyable ! Le goût est incomparable. Et puis, c’est le fruit d’un an de labeur… », s’enthousiasme Sylvie Vanneuville, épouse de Didier Vanneuville et cliente de la boulangerie. « On arrive à un virage en agriculture, poursuit Cédric Wyart. Ce type de modèle, c’est l’avenir. Je suis certifié HVE 2, et je n’en peux plus de faire tous les efforts nécessaires sans récupérer de la valeur à la fin. Ici tout le monde est gagnant : nous, le boulanger, les clients… Et l’environnement. On parle toujours du bilan carbone de notre nourriture. Ici, on ne peut pas faire plus proche ! »
Lucie De Gusseme