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“Poste : pollinisateur (H/F) en CDI. Salaire : 1 766,92 euros brut. Environnement du poste : sept jours par semaine 24 h / 24 h. Jours fériés travaillés. Travail en extérieur quelle que soit la météo, port du masque obligatoire en raison d’un environnement pollué par les pesticides. Votre mission : remplacement permanent des abeilles et autres insectes pollinisateurs, vous serez chargé de polliniser les champs destinés à notre alimentation, pipettes en main”.
Cette annonce fantaisiste a été publiée au printemps par le réseau Les hameaux bio, regroupement de sept magasins de Loire-Atlantique au sein de la coopérative Biocoop. Éloïse Allonville, co-gérante, explique : « Des initiatives locales sont portées chaque année en parallèle des projets menés à l’échelle de la coopérative nationale (environ 700 magasins en France, ndlr) sur la sensibilisation à la biodiversité. Le sujet des abeilles nous tenait particulièrement à cœur, parce qu’il touche à la fois les citoyens, consommateurs et professionnels que nous sommes. Et parce que nous défendons l’idée qu’il est possible d’agir sur la biodiversité en consommant différemment, parce que nous estimons qu’en tant que commerçants militants nous avons un rôle à jouer. Nous avons choisi de faire quelque chose », remonte la co-gérante.
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Ce quelque chose a pris la forme d’une campagne de communication relayée localement dans les magasins du réseau. Une forme pas banale – une fausse offre d’emploi pour pollinisateurs humains – qui visait à faire œuvre de pédagogie et de sensibilisation. Elle a été accompagnée d’actions en magasin, notamment à travers des ateliers.
« Une naturopathe est venue expliquer comment végétaliser son assiette et quels ingrédients privilégier en cuisine afin de favoriser la biodiversité, illustre Éloise Allonville. C’est une sensibilisation que nous développons tout au long de l’année, à travers les produits que nous proposons. » Des produits bio.
Car c’est bien le type de produits, et leur mode de culture, qui sont à la source du problème. Et de la solution. « L’agriculture biologique, parce qu’elle n’utilise pas de pesticides qui sont à l’origine de l’extinction des abeilles et plus globalement de tous les insectes pollinisateurs, permet le soutien de la biodiversité », poursuit la militante. Qui rappelle comment le cahier des charges de l’agriculture biologique prévoit, aussi, la création de haies bocagères ou de points d’eau, la pratique de la tonte sélective… « Une gestion des champs et de la nature en faveur de la biodiversité », appuie-t-elle.
Et de préciser qu’au-delà de sa préservation, la pratique de l’agriculture biologique œuvre à la régénération du vivant, « grâce à la rotation des cultures qui évite l’utilisation d’engrais artificiels et enrichit la terre en nutriments contrairement à la monoculture, LE fléau pour la biodiversité : les insectes n’y ont plus rien à polliniser et ne peuvent se reporter d’une culture sur l’autre. »
Ça vaut pour la pratique de l’agroforesterie plus globalement, que la chaîne de magasins bio favorise à travers, par exemple, le récent lancement d’une gamme de café entièrement cultivé selon un modèle agroforestier en Afrique, « parce que la biodiversité ça se défend à l’échelle planétaire », milite Éloïse Allonville.
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Pour cette campagne de communication, le groupement Les hameaux bio a agi comme à son habitude, « en essayant d’attirer les médias et les consommateurs. Nous étions proches du 1er avril et nous avons eu l’idée d’un canular : l’idée de l’annonce de recrutement est rapidement venue. » L’idée de départ : avec l’effondrement des populations de pollinisateurs, il va bien falloir trouver une alternative si on veut que la vie continue sur terre.
« Aujourd’hui la nature travaille gratuitement, demain il faudra payer. Nous aurions pu pousser jusqu’à chiffrer le coût réel de la main-d’œuvre gratuite que constituent les pollinisateurs », imagine la co-gérante à voix haute. Une main-d’œuvre qui ne se plaint jamais de ses conditions de travail, ni de l’absence de congés ni de la température, qui ne déposera pas plainte pour avoir dû travailler dans un environnement plus ou moins pollué.
Mais demain ? « La pollinisation porte les enjeux d’autonomie alimentaire. Au lieu de la préserver, on ouvre des boulevards aux produits de synthèses, aux graines stériles fécondées en laboratoire à des prix que maîtrisent les instituts. Il s’agit aussi de défendre l’indépendance professionnelle de nos agriculteurs », juge la Ligérienne.
Aux choix de modèles de production s’ajoute, c’est lié, les choix de consommation. « Le consommateur a une carte à jouer selon les choix qu’il fera. Il doit se rappeler qu’il peut agir pour la biodiversité à travers son alimentation alors qu’aujourd’hui on ne fait pas assez systématiquement le lien. »
Manger bio, c’est le parti pris de Biocoop, et équilibré. En mangeant des céréales variées, qui vont permettre de valoriser les rotations culturales. « Si demain tout le monde ne mange plus que des pâtes, toutes bio soient-elles, alors la France sera couverte de champs de blé. Si on se met à manger davantage de lentilles, sarrazin, lupin… alors les agriculteurs pourront valoriser convenablement l’ensemble de leurs cultures. Des champs plus diversifiés permettront de relancer la biodiversité », ose imaginer Éloise Allonville. Même principe pour les légumes. « Les céréales et les fruits et légumes sont les deux principaux rayons où le choix des consommateurs peut peser. ».
La commerçante engagée emploie cette formule qui dit que le consommateur « vote avec son argent » en faisant des choix éclairés. Et invite à inverser la pensée habituelle en se rappelant que « ce qu’on met dans notre assiette se retrouvera dans les champs ».
Déployée au printemps dernier en Loire-Atlantique, la campagne a beaucoup surpris les clients pourtant globalement sensibilisés déjà. Ils ont notamment mieux saisi les liens entre ce qu’ils mettaient dans leur panier, puis leur assiette, et ce qui était cultivé autour d’eux. Mission accomplie dans ce bout de la France. Une campagne pas banale qui pourrait être déployée dans le reste du réseau Biocoop.
Justine Demade Pellorce